ueilleuse et si je traite mes gens d'une
facon hautaine. Elevee avec eux, habituee pendant quinze ans a les
regarder comme des camarades, a les tutoyer, a jouer avec eux comme
fait aujourd'hui Maurice avec Thomas[1], je me laisse encore souvent
gronder et gouverner par eux. Je ne les traite pas comme des
domestiques. Un de mes amis remarquait avec raison que ce n'etaient
pas des valets, mais bien une classe de gens a part qui s'etaient
engages par gout a faire aller ma maison, en vivant aussi libres,
aussi _chez eux_ que moi-meme.
Vous savez encore que je m'assieds quelquefois au fond de ma cuisine,
en regardant rotir le poulet du diner et en donnant audience a mes
coquins et a mes mendiants. Mais je ne demeurerais point un quart
d'heure avec eux lorsqu'ils sont rassembles, pour y passer le temps a
ecouter leur conversation. Elle m'ennuierait et me degouterait; parce
que leur education est differente de la mienne; je les generais en
meme temps que je me trouverais deplacee. Or vous etes eleve comme moi
et non comme eux. Vous ne devez donc pas etre avec eux comme un egal.
J'insiste sur ce reproche, auquel je n'aurais pas pense, s'il ne
m'etait revenu quelque chose de semblable d'une maniere indirecte, par
l'effet du hasard.
Hippolyte se trouvant en patache avec un homme employe chez le general
Bertrand, je ne sais plus si c'est comme ouvrier, comme domestique ou
comme fermier, celui-ci bavarda beaucoup, parla de la famille
Bertrand, de monsieur, de madame, des enfants, etc, etc., et enfin de
M. Jules. "C'est un bon, enfant, dit-il, et bien savant; mais c'est
jeune, ca ne sait pas tenir son rang. Ca joue aux cartes ou aux dames
avec le chasseur du general. Nous autres gens du commun, nous n'aimons
pas ca; si nous etions eleves en messieurs, nous nous conduirions en
messieurs."
Hippolyte me raconta cette conversation, qu'il regardait comme un
propos sans fondement; mais je me rappelai diverses circonstances qui
me le firent trouver vraisemblable; entre autres, votre brouillerie
avec la famille du portier, brouillerie qui n'aurait jamais du avoir
lieu, parce que vous n'auriez jamais du faire votre societe de gens
sans education.
Je le repete, l'education etablit entre les hommes la seule veritable
distinction. Je n'en comprends pas d'autre; celle-la me semble
irrecusable. Celle que vous avez recue vous impose l'obligation de
vivre avec les personnes qui sont dans la meme position, et de n'avoir
pour les autres que
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