que, vous suffisez a toutes mes ambitions."
Prenez votre part de ce compliment, mon enfant; car vous savez que je
vous aime comme un fils et comme un frere.
Nous differons de caractere; mais nos coeurs sont honnetes et aimants,
ils doivent s'entendre. Il me sera doux de vous avoir pour longtemps
pres de moi et de vous confier mon Maurice. Il me tarde de voir
arriver ce moment.
Bonsoir, mon fils; ecrivez-moi.
XLIV
A MADAME MAURICE DUPIN, A CHARLEVILLE
Nohant, 22 novembre 1830.
Ma chere petite maman,
Vous etes bien paresseuse. Si je ne vous savais en bonnes mains et en
surete a Charleville, je serais inquiete de vous. Par ce temps-ci, on
ne sait qui vit ni qui meurt. Il y a des troubles de tous les cotes;
notre pays, tout pacifique qu'il est d'ordinaire, se mele aussi de
remuer. Des emeutes assez serieuses ont eu lieu a Bourges, a Issoudun,
voire a la Chatre; c'est la, par exemple, qu'elles ont ete le plus
vite apaisees; tout s'est tourne en plaisanterie. Bien des gens ont
fui de peur, cependant; chaque chose a son cote ridicule dans la vie.
Je me sens peu disposee a m'effrayer de l'avenir si noir qu'on nous
predit. La frayeur grossit les objets et ces hommes sanguinaires, vus
de pres, ne sont, la moitie du temps, que des ivrognes, qu'on met en
gaiete avec du vin et qui n'egorgeront personne. Ils font grand bruit
et peu de mal, quoi qu'on en dise; cependant, je suis bien aise que
vous ne soyez pas a Paris. Vous y etes tres isolee, et, dans cette
position, il est naturel qu'on ne soit pas rassure. La peur fait mal,
elle rend malade. Reposez-vous donc aupres de vos enfants, mais
n'oubliez pas les absents et parlez-moi un peu plus souvent de vous et
d'eux.
Oscar est-il au college? La sante de Caroline se raffermit-elle? Votre
presence, qu'elle desirait vivement, a du etre pour elle le meilleur
des remedes, et puis ce beau temps est excellent pour les poitrines
delicates. Soignez-la bien, elle vous le rendra; mais faites en sorte
de n'en avoir pas besoin.
J'ai ete assez malade depuis ma derniere lettre. Je cours du matin au
soir pour me dedommager de l'ennui de souffrir.
Ma belle-soeur[1] ne court guere, on peut meme dire pas du tout. Elle
est douce et bonne, point exigeante; elle se leve tard, et nous ne
nous voyons qu'au moment du diner. C'est toujours avec plaisir et
bonne intelligence. Nous passons la soiree ensemble, soiree qui n'est
pas longue; car elle se
|