femmes se refugient avec les vieillards
sur les bancs et sur les tables; les enfants, effrayes, se cachent
dessous, les chiens hurlent, les fusils partent, c'est un combat sans
colere, sans coups ni blessures volontaires, mais ou le point d'honneur
est pris assez au serieux pour que chacun y deploie toute sa vigueur et
toute sa volonte, si bien qu'a force de se pousser, de s'etreindre, de
se tordre la broche entre les mains, j'ai vu peu de noces ou il n'y eut
quelqu'un d'ecloppe, au moment ou le marie reussissait a allumer une
poignee de paille dans la cheminee, ou l'oie, dechiquetee dans le
combat, prenait enfin possession de l'atre.
Un jour, la scene fut ensanglantee par un accident serieux. Un des
convies fut litteralement embroche dans la bataille. Des lors, la
ceremonie tomba en desuetude; on fut d'accord sur tous les points de la
supprimer, et nous avons vu la derniere il y a dix ans. On eut pu se
borner a supprimer la bataille; mais, la conquete du foyer etant le but
symbolique de l'affaire, on jugea que le reste n'aurait plus de sens. Je
regrette pourtant les chansons a la porte, et la belle melodie de:
_Ouvrez la porte, ouvrez!_ qui, n'ayant plus d'emploi, se perdra.
Apres la broche plantee, venait pour le marie une derniere epreuve: on
asseyait trois jeunes filles avec la mariee sur un banc, on les couvrait
d'un drap, et, sans les toucher autrement qu'avec une petite baguette,
le marie devait, du premier coup d'oeil, deviner et designer sa femme;
lorsqu'il se trompait, il etait condamne a ne pas danser avec elle de
toute la soiree; car, ensuite, venaient le bal, le souper, et des
chansons jusqu'au jour. Une noce comportait trois jours et trois nuits
de joie et bombance, sans desemparer d'une heure.
La _gerbaude_ est une ceremonie agricole que l'auteur de cet article a
mise sur la scene tres-fidelement; mais ce que le theatre ne saurait
reproduire, c'est la majeste du cadre, c'est la montagne de gerbes qui
arrive solennellement, trainee par trois paires de boeufs enormes, tout
ornee de fleurs, de fruits et de beaux enfants perches au sommet des
dernieres gerbes. C'est parfois un tableau qui se compose comme pour
l'oeil des artistes. Tout cela est si beau par soi-meme: les grands
ruminants a l'oeil fier et calme, la moisson ruisselante, les fleurs
souriant sur les epis, et, plus que tout cela, les enfants blonds comme
les gerbes, comme les boeufs, comme la terre couverte de son chaume, car
tout est colore
|