u vous seriez de moitie. Mais avant de le savoir,
il faudrait que je vous visse souvent, tres souvent, chaque jour.
Je voulais profiter de ces bonnes dispositions inesperees de M. de
Charlus pour lui demander s'il ne pourrait pas me faire rencontrer sa
belle-soeur, mais, a ce moment, j'eus le bras vivement deplace par une
secousse comme electrique. C'etait M. de Charlus qui venait de retirer
precipitamment son bras de dessous le mien. Bien que, tout en parlant,
il promenat ses regards dans toutes les directions, il venait seulement
d'apercevoir M. d'Argencourt qui debouchait d'une rue transversale. En
nous voyant, M. d'Argencourt parut contrarie, jeta sur moi un regard de
mefiance, presque ce regard destine a un etre d'une autre race que Mme
de Guermantes avait eu pour Bloch, et tacha de nous eviter. Mais on eut
dit que M. de Charlus tenait a lui montrer qu'il ne cherchait nullement
a ne pas etre vu de lui, car il l'appela et pour lui dire une chose fort
insignifiante. Et craignant peut-etre que M. d'Argencourt ne me reconnut
pas, M. de Charlus lui dit que j'etais un grand ami de Mme de
Villeparisis, de la duchesse de Guermantes, de Robert de Saint-Loup; que
lui-meme, Charlus, etait un vieil ami de ma grand'mere, heureux de
reporter sur le petit-fils un peu de la sympathie qu'il avait pour elle.
Neanmoins je remarquai que M. d'Argencourt, a qui pourtant j'avais ete a
peine nomme chez Mme de Villeparisis et a qui M. de Charlus venait de
parler longuement de ma famille, fut plus froid avec moi qu'il n'avait
ete il y a une heure; pendant fort longtemps il en fut ainsi chaque fois
qu'il me rencontrait. Il m'observait avec une curiosite qui n'avait rien
de sympathique et sembla meme avoir a vaincre une resistance quand, en
nous quittant, apres une hesitation, il me tendit une main qu'il retira
aussitot.
--Je regrette cette rencontre, me dit M. de Charlus. Cet Argencourt,
bien ne mais mal eleve, diplomate plus que mediocre, mari detestable et
coureur, fourbe comme dans les pieces, est un de ces hommes incapables
de comprendre, mais tres capables de detruire les choses vraiment
grandes. J'espere que notre amitie le sera, si elle doit se fonder un
jour, et j'espere que vous me ferez l'honneur de la tenir autant que moi
a l'abri des coups de pied d'un de ces anes qui, par desoeuvrement, par
maladresse, par mechancete, ecrasent ce qui semblait fait pour durer.
C'est malheureusement sur ce moule que sont faits la plupart des gen
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