--Qu'est-ce que c'est que de bouchonner? Tu dis, Louis, que tu
bouchonneras Cadichon?
_Louis_:--Bouchonner, c'est frotter avec des poignees de paille jusqu'a
ce que le cheval ou l'ane soit bien sec. On appelle cela _bouchonner_,
parce que la poignee de paille qu'on tortille pour cela s'appelle un
_bouchon_ de paille.
Je suivais Jacques et Louis, qui marcherent vers l'ecurie en me faisant
signe de les accompagner. Tous deux se mirent a me bouchonner avec une
telle vivacite, qu'ils furent bientot en nage. Ils ne cesserent pourtant
que lorsqu'ils m'eurent bien seche. Pendant ce temps, Henriette et
Jeanne se relayaient pour peigner et brosser ma criniere et ma queue.
J'etais superbe quand ils eurent fini, et je mangeai avec un appetit
extraordinaire la mesure d'avoine que Jacques et Louis me presenterent.
--Henriette, dit tout bas la petite Jeanne a sa cousine, Cadichon a
beaucoup d'avoine; il en a trop.
_Henriette_:--Ca ne fait rien, Jeanne; il a ete tres bon; c'est pour le
recompenser.
_Jeanne_:--C'est que je voudrais bien lui en prendre un peu.
_Henriette_:--Pourquoi?
_Jeanne_:--Pour en donner a nos pauvres lapins, qui n'en ont jamais et
qui l'aiment tant.
_Henriette_:--Si Jacques et Louis te voient prendre l'avoine de
Cadichon, ils te gronderont.
_Jeanne_:--Ils ne me verront pas. J'attendrai qu'ils ne me regardent
pas.
_Henriette_:--Alors, tu seras une voleuse, car tu voleras l'avoine du
pauvre Cadichon, qui ne peut pas se plaindre, puisqu'il ne peut pas
parler.
--C'est vrai, dit Jeanne tristement. Mes pauvres lapins seraient
pourtant bien contents d'avoir un peu d'avoine.
Et Jeanne s'assit pres de mon auget, me regardant manger.
--Pourquoi restes-tu la, Jeanne? demanda Henriette. Viens avec moi pour
avoir des nouvelles d'Auguste.
--Non, repondit Jeanne, j'aime mieux attendre que Cadichon ait fini de
manger, parce que, s'il laisse un peu d'avoine, je pourrai alors la
prendre, sans la voler, pour la donner a mes lapins.
Henriette insista pour la faire partir, mais Jeanne refusa et resta pres
de moi. Henriette s'en alla avec ses cousins et ses cousines.
Je mangeai lentement; je voulais voir si Jeanne, une fois seule,
succomberait a la tentation de regaler ses lapins a mes depens. Elle
regardait de temps en temps dans l'auget.
"Comme il mange! disait-elle. Il n'en finira pas.... Il ne doit plus
avoir faim, et il mange toujours.... L'avoine diminue; pourvu qu'il
ne mange pas tout....
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