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temps qui court. Je suis heureuse de votre succes[1].
[1] _Reponse de M. Auguste Vacquerie_.
Comme je suis fier que vous m'ayez ecrit une lettre si amicale et si
sincere; mais comme je suis humilie que nous ne soyons pas du meme avis
sur les denouements!
Vous regrettez qu'Andree ne recompense pas la vertu de Jean Baudry. Mais
est-ce que la vertu est jamais recompensee ailleurs qu'a l'Academie?
J'ai essaye de faire un Promethee bourgeois; est-ce que la recompense
de Promethee n'a pas ete le vautour? Et je ne sais pas qui est-ce qui
gagnerait a ce qu'il en fut autrement.
Ce ne serait pas Promethee, toujours! Le voyez-vous reconcilie avec
Jupiter et bien en cour? voyez-vous Jeanne Darc finissant dame d'honneur
de La reine, et Jesus ministre de Tibere!
Ce ne serait pas la vertu non plus. Vous dites qu'elle est plus
contagieuse quand elle est recompensee; je crois le contraire, et qu'il
n'y a pas de plus grande propagande que le martyre. Supprimez la croix
et vous supprimez peut-etre le christianisme.
Pour redescendre a ma piece, il me semble que Jean Baudry serait
considerablement diminue, et avec lui l'enseignement qu'il personnifie,
s'il etait aime d'Andree a la fin. Je doute que Romeo et Juliette
fussent touchants a perpetuite s'ils s'etaient maries tranquilles et
s'ils avaient eu beaucoup d'enfants. Je ne repousse pas absolument les
denouements heureux, mais je les crois d'abord moins vrais, ensuite
moins efficaces. Je vous avoue que Tartufe cesse presque de m'etre
odieux au moment ou on l'arrete.
La moralite n'est pas dans le fait, mais dans l'impression du fait.
Puisque vous regrettez que Jean Baudry ne soit pas heureux, l'impression
finale est donc pour la vertu.
Je trouve qu'Andree rendrait un mauvais service a la vertu et a Jean
Baudry lui-meme en le preferant a Olivier, qui retomberait alors ou Jean
Baudry l'a ramasse. Elle croit, comme Jean Baudry, qu'Olivier traverse
la derniere crise du mal; elle a pour lui la meme sorte de tendresse que
Jean Baudry, elle l'aime pour le parfaire; elle veut etre la mere de
son ame, comme il en est le pere. Elle epouse mieux Jean Baudry en ne
l'epousant pas et en collaborant a son oeuvre qu'en sterilisant son
effort de onze annees. Ce n'est donc pas par incredulite a la grandeur
des femmes, o chere grande femme! que j'ai voulu qu'Andree, preferat le
coeur imparfait au coeur parfait; elle fait acte de grande bonte et de
grand courage en choisissant ce
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