citee, et disposee a
souffrir plus que les autres. Au reste, vous avez conclu. Vous avez
montre que notre travail d'analyse, a vous, a moi, a tous les artistes
qui prennent leur tache au serieux, pousse au besoin de se devouer et
de se defendre, deux sollicitations contraires qui rendent la vie plus
difficile a nous qu'aux autres. Quelle affaire que la vie! et la mort,
quel abime!
Ayez grand courage, vous avez le grand lot.
A vous de coeur.
G. SAND.
DXCV
A GUSTAVE FLAUBERT, A PARIS
Palaiseau, 22 novembre 1865.
Il me semble que ca me portera bonheur de dire bonsoir a mon cher
camarade avant de me mettre a l'ouvrage.
Me voila _toute seule_ dans ma maisonnette. Le jardinier et son menage
logent dans le pavillon du jardin, et nous sommes la derniere maison
au bas du village, tout isolee dans la campagne, qui est une oasis
ravissante. Des pres, des bois, des pommiers comme en Normandie; pas
de grand fleuve avec ses cris de vapeur et sa chaine infernale; un
ruisselet qui passe muet sous les saules; un silence... ah! mais il me
semble qu'on est au fond de la foret vierge: rien ne parle que le petit
jet de la source qui empile sans relache des diamants au clair de la
lune. Les mouches endormies dans les coins de la chambre se reveillent
a la chaleur de mon feu. Elles s'etaient mises la pour mourir, elles
arrivent aupres de la lampe, elles sont prises d'une gaiete folle, elles
bourdonnent, elles sautent, elles rient, elles ont meme des velleites
d'amour; mais c'est l'heure de mourir, et, paf! au milieu, de la danse,
elles tombent raides. C'est fini, adieu le bal!
Je suis triste ici tout de meme. Cette solitude absolue, qui a toujours
ete pour moi vacance et recreation, est partagee maintenant par un mort
qui a fini la, comme une lampe qui s'eteint, et qui est toujours la. Je
ne le tiens pas pour malheureux, dans la region qu'il habite; mais cette
image qu'il a laissee autour de moi, qui n'est plus qu'un reflet, semble
se plaindre de ne pouvoir plus me parler.
N'importe! la tristesse n'est pas malsaine: elle nous empeche de nous
dessecher. Et vous, mon ami, que faites-vous a cette heure? Vous piochez
aussi, seul aussi; car la maman doit etre a Rouen. Ca doit etre beau
aussi, la nuit, la-bas. Y pensez-vous quelquefois au "vieux troubadour
de pendule d'auberge, qui toujours chante et chantera le parfait amour"?
Eh bien, oui, quand meme! Vous n'etes pas pour la chastete, m
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