s'en souviendra.
Moi, je n'oublierai pas que vous avez passe avec nous, dans un petit
coin, la soiree apres ce beau combat, et, en vous ecoutant, j'aurais
oublie les heures; je crains que nous n'ayons abuse de votre bonte, nous
qui n'avons rien de mieux a faire que de vous entendre, tandis que,
vous, vous avez tant de grandes et bonnes choses a accomplir.
Le bonheur est une abstraction en meme temps qu'une realite, quoi qu'en
disent les philosophes. Durable et certain a l'etat d'_ideal_ pour qui
en connait la vraie et haute nature, il est _momentane_ et puissant a
l'etat de _realite_, quand les faits servent l'ideal. Donc, portant en
vous la vraie notion du bonheur, qui est de le repandre et de le donner,
vous en savourez quelquefois la sensation, quand les faits obeissent a
votre ardente et genereuse volonte.
Soyez donc heureux, puisque le bonheur est une conquete et que vous
venez de gagner une belle bataille. Les jours de degout et de fatigue
reviendront. Le bonheur a l'etat de realite complete n'est pas une chose
permanente pour l'homme; mais il vous restera a l'etat d'ideal, augmente
du souvenir des victoires; et la morale de ceci est qu'il faut
combattre toujours pour augmenter votre tresor de force et de foi. La
reconnaissance des hommes, ce qu'on appelle la gloire n'est qu'une
consequence, un accessoire peut-etre! vous l'aurez. Mais votre but est
plus eleve. Vous n'etes pas pour rien de la race ambitieuse du bien, qui
lutte en ce siecle contre la race ambitieuse d'argent. Vous avez des
forces a depenser, c'est deja un bonheur que d'etre riche en ce sens-la.
J'ai recu vos invitations en regle; merci de votre bon souvenir. Mais
me voila au coin du feu avec la grippe, et, pour quelques jours, je
lutterai sans grand effort contre la fievre.
Ce ne sera rien; je penserai a vous et je parlerai de vous, ayant aupres
de moi quelqu'un qui ne demande que cela.
Avez-vous pense, en vous en allant tout seul, a pied, depuis le
Pantheon, les mains dans vos poches, au clair de la lune, que, dans cent
ans d'ici, la France, le monde par consequent vivrait, grace a vous,
d'une autre vie?
Du haut du Pantheon quelque chose a du vous parler et vous crier:
"Marche!"
A vous de coeur toujours et toujours plus.
G. SAND.
DLXXXV
AU MEME
Palaiseau, 9 mars 1865.
Cher prince, vous me disiez bien que rien n'etait fait puisqu'il y avait
encore a faire. Le desaveu de M. Duruy et d
|