anvier 1865.
Monsieur,
J'ai recu le bel ouvrage de M. Zaleski, et je vous prie de lui en
temoigner ma gratitude et ma satisfaction. J'ai recu aussi les ouvrages
que vous avez publies et que vous avez bien voulu m'envoyer. Je suis
touchee de votre souvenir et je n'ai pas besoin de vous dire que je sais
apprecier votre talent d'ecrivain et l'ardeur de votre patriotisme. Je
regrette de n'avoir, dans cette question palpitante, aucune lumiere a
laquelle j'ose me livrer entierement. Je vois un conflit terrible entre
des hommes qui ont tous combattu pour leur patrie, ou que le malheur
a tous frappes, et qui se reprochent mutuellement ce commun desastre:
c'est l'histoire de tous les desastres! En France, nous avons ete
divises aussi par la defaite; et quelle force, quelle sagesse il faut
avoir, dans ces moments-la, pour ne pas se maudire et s'accuser les uns
les autres! Il faudrait, pour prononcer, etre initie tout a coup aux
clartes que l'histoire seule pourra tirer des faits divers mis en
presence. Je ne me suis pas sentie autorisee a instruire, dans ma pensee
et dans ma conviction, ces grands proces politiques, ou tant de details
sont a controler, tant d'accusations a verifier soi-meme. Il y faudrait
toute une vie exclusivement consacree a l'enquete immense que l'avenir
seul pourra mettre sous nos yeux. Vous etes bien jeune pour ce travail
d'exploration! et ne craignez-vous pas de vous tromper? Des appels a
l'indignation publique contre telle ou telle figure historique n'ont-ils
pas le danger de desaffectionner de l'oeuvre commune? Ils consternent un
peu ma conscience, je vous le confesse, et je n'ose vous dire que vous
faites bien de montrer les plaies de la Pologne avec cette absence de
menagement.
Je n'ose pas non plus vous dire que vous faites mal; car vous obeissez
a l'emportement d'une passion vraie, et, comme tout ce qui arrive
doit servir a tout ce qui doit arriver, peut-etre faut-il que vous
accomplissiez la rude tache que vous vous imposez. La verite ne se fait
qu'avec ce qui la provoque; car, d'elle-meme, elle est paresseuse a se
montrer, et tant d'obstacles sont entre Dieu et nous!
Agreez, monsieur, l'expression de ma sollicitude _quand meme_, et _parce
que_.
GEORGE SAND.
DLXXXII
A M. NEPFTZER, DIRECTEUR DU _TEMPS_, A PARIS
Palaiseau, 12 janvier 1865.
Il est piquant sans doute de se reveiller en apprenant, par la voie
des journaux, des nouvelles de soi-me
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