a nos campagnes.
DXLV
AU MEME
Nohant; 8 fevrier 1864.
Mon brave et bon ami,
J'ai fini ma grosse tache, et, avant que j'en commence une autre, je
viens causer avec vous. Qu'est-ce que nous disions? Si la liberte de
droit et la liberte de fait pouvaient exister simultanement? Helas! tout
ce qu'il y a de beau et de bon pourra exister quand on le voudra;
mais il faut d'abord que tous le comprennent, et le meilleur des
gouvernements, de quelque nom qu'il s'appelle, sera celui qui enseignera
aux hommes a s'affranchir eux-memes en voulant affranchir les autres au
meme degre.
Vous vouliez me faire des questions, faites-m'en, afin que je vous
demande de m'aider a vous repondre; car je ne crois pas rien savoir de
plus que vous, et tout ce que j'ai essaye de savoir, c'est de mettre de
l'ordre dans mes idees, par consequent de l'ensemble dans mes croyances.
Si vous me parlez philosophie et religion, ce qui pour moi est une seule
et meme chose, je saurai vous dire ce que je crois; _politique_, c'est
autre chose: c'est la une science au jour le jour, qui n'a d'ensemble et
d'unite qu'autant qu'elle est dirigee par des principes plus eleves que
le courant des choses et les moeurs du moment. Cette science, dans son
application, consiste donc a tater chaque jour le pouls a la societe, et
a savoir quelle dose d'amelioration sa maladie est capable de supporter
sans crise trop violente et trop perilleuse. Pour etre ce bon medecin,
il faut plus que la science des principes, il faut une science pratique
qui se trouve dans de fortes tetes ou dans des assemblees libres,
inspirees, par une grande bonne foi. Je ne peux pas avoir cette
science-la, vivant avec les idees plus qu'avec les hommes, et, si je
vous dis mon ideal, vous ne tiendrez pas pour cela les moyens pratiques;
vous ne les jugerez vraiment, ces moyens, que par les tentatives qui
passeront devant vos yeux et qui vous feront peser la force ou la
faiblesse de l'humanite a un moment donne. Pour etre un sage politique,
il faudrait, je crois, etre imbu, avant tout et par-dessus tout, de
la foi au progres, et ne pas s'embarrasser des pas en arriere qui
n'empechent pas le pas en avant du lendemain. Mais cette foi n'eclaire
presque jamais les monarchies, et c'est pour, cela que je leur prefere
les republiques, ou les plus grandes fautes ont en elles un principe
reparateur, le besoin, la necessite d'avancer ou de tomber. Elles
tombent lourdem
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