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DLXIII
A M. JULES BOUCOIRAN, A NIMES
Guillery, 16 juillet 1864.
Cher ami,
Je vous envoie mes pauvres enfants, ne pouvant les suivre en voyage;
j'ai compte que Nimes serait encore l'endroit ou ils auraient le plus de
consolations, puisque vous serez la, vous qui les aimez tant et si bien.
Vous direz a Maurice tout ce qu'il faut lui dire, il vous ecoutera. Il
a du courage; mais il a des moments d'exasperation qui reviennent.
Vous les combattrez. Parlez-lui de sa petite femme, de l'avenir, de
ma vieillesse a epargner. Tachez qu'ils ne soient pas malades. S'ils
l'etaient, ecrivez-moi, j'accourrai.
Adieu! Dans un instant, nous quittons cette fatale maison et nous
partons ensemble pour Agen.
Je vous embrasse de coeur. Donnez-nous du courage!
G. SAND.
DLXIV
A M. LUDRE-GABILLAUD A LA CHATRE
Palaiseau, 24 juillet 1864.
Mon ami,
Nous sommes brises: nous avons perdu notre enfant! Je suis partie avec
un medecin mercredi soir pour Agen, d'ou j'ai couru sans respirer a
Guillery. Le pauvre petit etait mort la veille au soir. Nous l'avons
enseveli le lendemain et porte dans la tombe de son arriere-grand-pere,
le brave pere de mon mari, a cote du premier enfant de Solange, mort
aussi a Guillery. Un pasteur protestant de Nerac est venu faire la
ceremonie, au milieu de la population catholique, qui est habituee a
vivre cote a cote avec le protestantisme.
Nous sommes repartis tous le soir meme pour Agen, ou mes pauvres enfants
se sont trouves un peu plus calmes et ont pris du repos. Hier, a Agen,
je les ai mis au chemin de fer pour Nimes. Ils eprouvent le besoin de
voyager et je les y ai pousses. Il fallait combattre l'idee d'emporter
ce pauvre petit corps a Nohant pour l'y ensevelir; et, vraiment, epuises
comme ils le sont tous deux, c'etait de quoi les tuer. J'ai pu surmonter
cette exaltation, obtenir le resultat que je viens de vous dire et les
voir partir resignes et courageux. Dans quelques semaines, il viendront
me rejoindre ici, et j'espere que leurs pensees se seront tournees vers
l'avenir.
Moi, je suis partie, laissant des epreuves a corriger et je suis revenue
par l'express ce matin a cinq heures. Vous pensez qu'a mon age, c'est
rude. Mais cette fatigue et cette depense d'energie m'ont soutenue au
moral, et j'ai pu remonter l'esprit de ces pauvres malheureux. Le plus
frappe est Maurice. Il s'etait acharne a sauver son
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