bois charmants,
des plantes que je ne reconnais pas, tant elles sont differentes en
grandeur de celles de Nohant: de la geologie toute fracassee et tordue
de mouvements, des cailloux, de la craie schisteuse, des gres, des
sables fins, de la meuliere; dans les fonds, deux metres de terre
vegetale fine comme de la cendre, fertile comme l'Eldorado, et arrosee
de sources a chaque pas. Aussi les paysans d'ici sont plus riches
que les bourgeois de chez nous. Ils sont tres bons et obligeants, et
respectent trop la propriete pour qu'on sache ce que c'est que le vol.
Le pays, passe six heures du soir, est desert comme le Sahara. Une fois
sortis du village, nous marchons trois heures sur les collines sans
rencontrer une ame ou un animal. Pas de Parisiens ni de flaneurs; meme
le dimanche, fort peu de bourgeois. Des paysans qui se couchent avec le
soleil; le silence de Gargilesse. En somme, l'endroit me plait beaucoup
et c'est un isolement complet qui est tres favorable au travail; aussi
j'y pioche beaucoup et je m'y porte tres bien.
L'habitation est loin de realiser ton reve de grottes, de parc et
d'orangers. C'est tout petit, tout petit, mais si commode et si propre,
que je ne demande rien de plus. Quant a vous, je vous vois d'ici
promenant Cocoton dans son carrosse a travers les myrtes et les
lauriers-roses, et il me tarde de vous savoir la; car vous y aurez vos
aises, un beau climat, j'espere, et un bon medecin au besoin.
Dis a Bouli que madame Buloz est venue avant-hier et qu'elle m'a dit
ceci: "Buloz a lu le roman de Maurice[1]. Il le trouve tres amusant,
tres bien fait, _rempli de talent_. Mais il en a tres grand'peur. Il
dit que, sans de grandes suppressions, il risque d'etre arrete dans la
_Revue des Deux-Mondes_, comme l'a ete _Madame Bovary_ dans la _Revue de
Paris_."
J'ai repondu: "Dites a Buloz qu'il relise encore et fasse des reflexions
mures. Si, avec quelques suppressions de temps en temps, on peut rendre
l'ouvrage possible dans la _Revue_, Maurice m'a donne carte blanche et
je me charge de la besogne, sauf a retablir le texte dans l'edition de
librairie. Mais, si les corrections et suppressions sont considerables
au point de denaturer l'ouvrage et de lui enlever sa physionomie, il
vaut mieux le publier tout de suite en volume."
Madame Buloz a repris: "C'est bien l'intention de Buloz d'y renoncer
plutot que de l'abimer. Aussi je ne suis pas chargee de vous dire qu'il
le refuse. Il veut, avant de se pronon
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