faut tenir
compte de cela quand on s'adresse au public des romans. Autrement, il
faut faire des ouvrages d'erudition pure; autre public.
Reflechis et decide; car bien certainement il y a un parti a prendre
dans lequel tu sais mieux que moi ce qu'il y a a faire. Mais, avec
ma version, je vois tout possible dans ce que tu as fait, sauf les
longueurs et le trop d'importance donne a des personnages secondaires.
Je laisserais les anoplotheres, sans les nommer peut etre, mais en les
decrivant, et le narrateur dirait qu'il croit a l'existence de ces
animaux parce qu'il en a vu des ossements en tel ou tel endroit. "Reste
a savoir, dirait-il, s'il y en avait encore du temps de Satouran. Je
vous donne la legende comme on me l'a donnee."
Tu ferais ce narrateur gai, malin et naif, poete quand meme, lorsqu'il
raconte les grandes scenes de la fin, qui sont belles et qu'il ne faut
pas changer.
Sur ce; je te _bige_, et encore ma Cocote. Je vas me coucher.
Mes amities a _Rigolo_. Il faut le rendre tres savant, il est en age
d'apprendre un tas de choses. Quoi qu'on en dise, il n'y a rien de si
intelligent qu'un ane. Ca parlerait si ca voulait, mais ca ne veut pas.
[1] _Le Coq aux cheveux d'or,_ roman de Maurice Sand.
DXCIII
A M. SAINTE-BEUVE, A PARIS
Palaiseau, 1865.
Avez-vous lu un singulier petit volume qui a paru, y il a quelque temps,
chez Dentu, sous un mauvais titre: _un Amour du Midi_, et sous le voile
de l'anonyme? Est-ce manque de courage, ou empechement de position?
N'importe. L'ouvrage est bizarre, inegalement ecrit, souvent tres peu
correct d'expressions, parfois trop naif, parfois trop declamatoire
(comme, du reste, l'auteur a l'esprit de le juger lui-meme); s'elevant
dans le vague et retombant a plat dans le non-sens; enfin tres obscur
parfois, comme la parole d'un exalte qui ne sait pas toujours ce qu'il
dit.
Voila bien des defauts. Eh bien, ces defauts pourraient etre une grande
habilete. Mais nous ne le croyons pas; nous aimons mieux penser que
l'auteur, jeune, est sans soin, sans experience, et tout a fait depourvu
de ce que l'on est convenu d'appeler du talent.
Il n'en est pas moins vrai que cet essai anonyme merite beaucoup d'etre
remarque. Ce n'est ni un roman proprement dit, ni une analyse: c'est un
cri de la passion. Mais ce cri est vrai et il est fort. Il ne ressemble
a rien de ce qui s'ecrit pour ecrire. Il a pour lui la jeunesse, le vrai
delire, la
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