ent, me direz-vous; oui, elles tombent plus vite que
les monarchies, et toujours pour la meme cause, c'est qu'elles veulent
s'arreter, et que l'esprit humain qui s'arrete se brise. Regardez en
vous-meme, voyez ce qui vous soutient, ce qui vous fait vivre fortement,
ce qui vous fera vivre tres longtemps, c'est votre incessante activite.
Les societes ne different pas des individus.
Pourtant vous etes prudent et vous savez que, si votre activite depasse
la mesure de vos forces, elle vous tuera; meme danger pour le travail
des renovations sociales; et impossible, je crois, de preserver la
marche de l'humanite de ces _trop_ et de ces _trop peu_ alternatifs qui
la menacent et l'eprouvent sans cesse. Que faire? direz-vous. Croire
qu'il y a toujours, quand meme, une bonne route a chercher et que
l'humanite la trouvera, et ne jamais dire. _Il n'y en a pas, il n'y en
aura pas_.
Je crois que l'humanite est aussi capable de grandir en science, en
raison et en vertu, que quelques individus qui prennent l'avance. Je la
vois, je la sais tres corrompue, affreusement malade, je ne doute pas
d'elle pourtant. Elle m'impatiente tous les matins, je me reconcilie
avec elle tous les soirs. Aussi n'ai-je pas de rancune contre ses
fautes, et mes coleres ne m'empecheront jamais d'etre jour et nuit a son
service. Passons l'eponge sur les miseres, les erreurs, les fautes de
tels ou tels, de quelque opinion qu'ils soient ou qu'ils aient ete,
s'ils ont dans le coeur des principes de progres ardents et sinceres.
Quant aux hypocrites et aux exploiteurs, qu'en peut-on dire? Rien;
c'est le fleau dont il faut se preserver, mais ce qu'ils font sous une
banniere ou sous une autre ne peut etre attribue a la cause qu'ils
proclament et qu'ils feignent de servir.
Quand nous mettrons de l'ordre dans notre _catechisme_ par causerie, il
faudra bien que nous commencions par le commencement et que, avant de
nous demander quels sont les droits de l'homme en societe, nous nous
demandions quels sont les devoirs de l'homme sur la terre, et cela nous
fera remonter plus haut que republique et monarchie, vous verrez. Il
nous faudra aller jusqu'a Dieu, sans la notion duquel rien ne s'explique
et ne se resout; nous voila embarques sur un rude chemin, prenez-y
garde! mais je ne recule pas si le coeur vous en dit.
Bonsoir pour ce soir, cher ami, et a vous de coeur et de tout bon
vouloir.
G. SAND.
DXLVI
A MAURICE SAND, A NOHANT
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