se. Toute la
journee, j'ai corrige des epreuves[1]. Jugez si j'y avais la tete. Je
relisais tout six fois sans comprendre, et c'est pour cette corvee que
je vous ai quittes si vite; car la _Revue_ etait bouleversee et j'ai
recu aujourd'hui quatre epreuves revenant de Nohant, de Nerac, etc.
Louis Buloz est venu m'aider a terminer. J'ai marche un peu ce soir;
mais je pleure en marchant, en dormant, en travaillant, et la moitie du
temps sans penser a rien, comme en etat d'idiotisme. Il faut laisser
faire la nature. Elle veut cela. Mais combattez l'amertume, mes pauvres
enfants. Ayez le malheur doux, et n'accusez pas Dieu. Il vous a donne un
an de bonheur et d'espoir. Il a repris dans son sein, qui est l'amour
universel, le bien qu'il vous avait donne. Il vous le rendra sous
d'autres traits. Nous aimerons, nous souffrirons, nous espererons, nous
craindrons, nous serons pleins de joie, de terreurs, en un mot nous
vivrons encore, puisque la vie est comme cela un terrible melange.
Aimons-nous, appuyons-nous les uns sur les autres. Je vous embrasse
mille fois. Maillard va s'occuper et s'occupe deja de vous chercher un
gite qui nous rapproche.
Ecrivez un petit mot amical a lui et a Camille Leclere[2], dans quelques
jours. Suivez ses prescriptions, reprenez vos forces et remettez-vous
l'esprit avant de travailler de nouveau pour l'avenir. Soignez-vous l'un
l'autre au moral et au physique. Et, si l'ennui ne diminue pas la-bas,
revenez ici. Parlez-moi de vous, de vos courses; mais, si vous n'avez
pas le temps pour les details, donnez-moi au moins de vos nouvelles en
deux mots. Cela m'est bien necessaire pour me remonter!
Ne vous navrez pas a ecrire notre malheur. J'avertirai tout le monde, on
vous ecrira.
[1] Les epreuves de _la Confession d'une jeune fille_.
[2] Docteur-medecin.
DLXII
A M. NOEL PARFAIT, A PARIS
Palaiseau, vendredi, juillet 1864.
Eh bien, mon cher parrain[1], avez-vous lu le roman _terrible_[2]?
Puis-je savoir votre avis?
Viendrez-vous en causer avec moi, en acceptant mon petit diner de
Palaiseau; ou, si vous n'avez pas le temps, irai-je a Paris le jour que
vous m'indiquerez? Je voudrais bien connaitre votre jugement, o juge
impeccable, et pouvoir m'y appuyer.
Pardonnez-moi mon impatience, et comprenez-la.
A vous de coeur.
GEORGE SAND.
[1] Noel Parfait et Alexandre Dumas fils avaient ete les parrains de
George Sand, lors de son admission
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