maitre et prend
son rang; Vous avez surtout senti ce qui ne pouvait echapper a un coup
d'oeil comme le votre, mais ce qu'il etait bien utile pour mon fils de
dire au public vulgaire: c'est qu'il a une individualite qui est bien
sienne et qu'aucune direction n'a pu lui donner. Tout mon role, a moi,
etait de ne pas la lui oter et de comprendre sa reelle valeur. C'est a
quoi je me suis attachee toute ma vie, et j'en suis recompensee, le jour
ou vous me prouvez, vous en qui je crois, que je ne me suis pas fait
d'illusions maternelles sur cette valeur de talent.
Votre appreciation, si franche et si delicate, est une joie reelle pour
moi, et je vous remercie du fond du coeur d'avoir lu le livre avec cette
conscience et cet esprit de genereuse protection. J'envoie l'article a
Maurice, qui est a Nohant avec sa femme. Tous deux seront bien heureux
et bien reconnaissants.
Et votre livre, a vous, ce livre dont vous me parliez a l'Odeon, est-il
publie? Je ne sais rien la ou je suis, garde-malade affligee, et blessee
par-dessus le marche, par suite d'une chute. Quand vous paraitrez, ne
m'oubliez pas. Je vous serre les mains, cher confrere, et suis, avec
affection, tout a vous.
DXCII
A MAURICE SAND A NOHANT
Palaiseau, 29 juin 1865.
Bouli,
Je t'enverrai demain ton manuscrit et tes articles. Mais tu me troubles
fort en me demandant conseil. Pour tout ce qui est _erudition_, tu es
plus ferre que moi; moi, je pense au succes, et je voudrais t'epargner
les critiques qui ont ecrase _Salammbo_, ouvrage tres fort, tres beau,
mais qui n'a vraiment d'interet que pour les artistes et les erudits.
Ils le discutent d'autant plus, mais il le lisent, tandis que le public
se contente de dire: "C'est peut-etre superbe, mais les gens de ce
temps-la ne m'interessent pas du tout." Tu en risquais autant avec ton
moyen age; tu as su vaincre la difficulte et rendre la chose amusante
pour le gros public en meme temps qu'appreciable aux artistes.
Il faut trouver moyen de faire le meme tour de force pour ton _Coq_. Or
il sera tres indifferent au public et aux journalistes, qui ne sont
pas erudits,--tu peux t'en apercevoir,--que tes personnages soient les
ingenieuses personnifications des races antiques. Cela plairait a des
savants dans la partie; mais combien y en a-t-il? Et le peu qu'il y en a
ne te liront meme pas: il suffit qu'une chose s'appelle roman pour qu'il
ne l'ouvrent jamais.
Donc, ta scie
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