qu'il est intimidant. Je crois que Francis nous en dirait
davantage. Il est tout frais emoulu de ces choses et tres capable de me
dire ou en est la science. Il dit une chose juste et _terrible_ que
je savais. La philosophie de l'esprit humain, telle que nous la
connaissons, admet comme _ineluctable le_ principe de la division de
la matiere a l'infini. La chimie ne repose que sur la constatation des
molecules; et qui dit molecule (si infinitesimale qu'elle soit) dit
_corps defini_, c'est-a-dire indivisible. Donc, l'esprit humain patauge
dans l'enfance des problemes elementaires. Ce qu'il admet logiquement
et rationnellement, il le nie scientifiquement. _D'ou il resulte_ qu'on
peut tout supposer, tout inventer, et que le fantastique n'a pas de
limites a l'heure qu'il est. Je t'avais donne un article, _de quoi_?
Je ne sais plus, de la _Revue Germanique_, je crois, ou l'etat de
la question qui t'interesse etait tres bien precise. Tu l'as trouve
ennuyeux; tu voulais y trouver justement le fantastique que tu dois
trouver toi-meme. Il faut pourtant le relire et l'avoir sous les yeux,
il y etait dit que l'on pouvait arriver a produire des tissus vegetaux,
peut-etre des matieres animales, mais non animees ni _animables_.
Force l'hypothese et que ton fantastique produise une demi-animation,
effrayante et burlesque.
Ne te lance pourtant pas trop dans _Mademoiselle Azote_[2]: "Qui trop
embrase, mal eteint."
[1] Francis Laur, ingenieur civil.
[2] Roman de Maurice Sand.
DCXX
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET
Palaiseau, 29 novembre 1866.
Il ne faut etre ni spiritualiste ni materialiste, dites-vous, il faut
etre naturaliste. C'est une grosse question.
Mon _Cascaret_--c'est comme ca que j'appelle le petit ingenieur--la
resoudra comme il l'entendra. Ce n'est pas une bete, et il passera par
bien des idees, des deductions et des emotions avant de realiser la
prediction que vous faites. Je ne le catechise qu'avec reserve; car
il est plus fort que moi sur bien des points et ce n'est pas le
spiritualisme catholique qui l'etouffe. Mais la question par elle-meme
est tres serieuse et plane sur notre art, a nous troubadours plus ou
moins penduliferes, ou penduloides. Traitons-la d'une maniere toute
impersonnelle; car ce qui est bien pour l'un peut avoir son contraire
tres bien pour l'autre. Demandons-nous, en faisant abstraction de nos
tendances ou de nos experiences, si l'etre humain peut
|