un explorateur que rien ne doit arreter et qui ne
fait ni bien ni mal de marcher a droite ou a gauche: son but sanctifie
tout. C'est a lui de savoir, apres un peu d'experience, quelles sont les
conditions de sante de son ame. Moi, je crois que la votre est en bon
etat de grace, puisque vous avez plaisir a travailler et a etre seul
malgre la pluie.
Savez-vous que, pendant que le deluge est partout, nous avons eu, sauf
quelques averses, un beau soleil en Bretagne? Du vent a decorner les
boeufs, sur les plages de I'Ocean; mais que c'etait beau, la grande
houle! et comme la botanique des sables m'emportait! et que Maurice
et sa femme ont la passion des coquillages! nous avons tout supporte
gaiement. Pour le reste, c'est une fameuse balancoire que la Bretagne.
Nous nous sommes pourtant indigeres de _dolmens_ et de _menhirs_, et
nous sommes tombes dans des fetes ou nous avons vu tous les costumes
qu'on dit supprimes et que les vieux portent toujours. Eh bien, c'est
laid, ces hommes du passe, avec leurs culottes de toile, leurs longs
cheveux, leurs vestes a poches sous les bras, leur air abruti, moitie
pochard, moitie devot. Et les debris celtiques, incontestablement
curieux pour l'archeologue; ca n'a rien pour l'artiste, c'est mal
encadre, mal compose, Carnac et Erdeven n'ont aucune physionomie.
Bref, la Bretagne n'aura pas mes os; j'aimerais mille fois mieux
votre Normandie cossue ou, dans les jours ou l'on a du drame dans la
_trompette_, les vrais pays d'horreur et de desespoir. Il n'y a rien la
ou regne le pretre et ou le vandalisme catholique ait passe, rasant les
monuments du vieux monde et semant les poux de l'avenir.
Vous dites _nous_, a propos de la _feerie_: je ne sais pas avec qui
vous l'avez faite, mais je me figure toujours que cela devrait aller a
l'Odeon actuel. Si je la connaissais, je saurais bien faire pour vous ce
qu'on ne sait jamais faire pour soi-meme, monter la tete aux directeurs.
Une chose de vous doit etre trop originale pour etre comprise par ce
gros Dumaine. Ayez donc une copie chez vous, et, le mois prochain,
j'irai passer une journee avec vous, pour que vous me la lisiez. C'est
si pres de Palaiseau, le Croisset! et je suis dans une phase d'activite
tranquille ou j'aimerais bien a voir couler votre grand fleuve et a
revasser dans votre verger, tranquille lui-meme, tout en haut de la
falaise. Mais je bavarde, et tu es en train de travailler. Il faut
pardonner cette intemperance anormale a quel
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