, j'en suis sure a present;
moyennant l'experience et la reflexion, on tire de soi beaucoup; on
refait meme sa sante par le vouloir et la patience. Mais l'implacable
mort et le malheur des autres, souvent incurable malgre tous nos soins,
voila ce qui nous rappelle notre solidarite et le bonheur aux prises
perpetuelles avec le chagrin, il ne faudrait pas que l'un detruisit
l'autre. Le bonheur que nous savons et pouvons nous donner nous
rendrait egoistes et steriles. Le chagrin qui empecherait notre sagesse
interieure de reagir, nous rendrait amers et laches. Vivons donc la vie
comme elle est, sans ingratitude et sans joie durable et assuree.
Nous ne changerons pas cela. Acceptons-le. Ainsi, vous voila bien
portants pour le moment et incertains de l'epoque de votre voyage.
Prevenez-m'en toujours une quinzaine a l'avance; car vous voyez que je
ne me fixe pas. Tant que la sante ira, je continuerai a _fuir_. Fuir
quoi? Peut-etre pourrais-je dire qu'a mon age on a besoin de ne pas trop
contempler, sous le meme rayon de lumiere ambiante, la solennite du
vrai.
Mais, au lieu de vous parler de choses de la vie courante, je vous fais
un cours de philosophie tres oppose peut-etre a la disposition d'esprit
ou vous etes. Vous voudriez et ne voudriez pas marier votre Solange.
Elle ne veut pas; elle fait comme Maurice, qui se trouvait si heureux
par moi, qu'il craignait de ne l'etre pas autrement. J'ai du le
tourmenter parce qu'il se faisait tard pour lui. A present, il est
content d'avoir surmonte son apprehension.
Il ne faut pourtant pas qu'une femme attende trop et contrarie la
nature, qui reprend sa tyrannie un jour ou l'autre.
Dites mes amities a tous ces bons amis qui se souviennent de moi, et
embrassez pour moi vos cheres filles.
A Nohant, on va bien. Aurore devient charmante. On m'ecrit tous les
jours.
Je compte bien sur l'envoi de vos oeuvres, et je suis tres heureuse de
cette publication.
A vous succes et benedictions, mon cher enfant.
DCIX
A MAURICE SAND, A NOHANT
Paris, 19 novembre 1866.
Mes enfants,
J'embarque demain matin _Cascaret_[1] pour Evreux; je le mene ce soir
au diner Magny; il va ouvrir de grands yeux en entendant les paradoxes
exuberants qui s'y debitent. Quant a interroger Berthelot, je ne suis
pas de force a lui faire des questions bien posees et a te rendre compte
de ses reponses. Je ne suis d'ailleurs jamais a cote de lui et il est
si timide,
|