et de les gaspiller.
L'artiste est un si beau type a faire, que je n'ai jamais ose le faire
reellement; je ne me sentais pas digne de toucher a cette figure belle,
et trop compliquee, c'est viser trop haut pour une simple femme. Mais ca
pourra bien vous tenter quelque jour, et ca en vaudra la peine.
Ou est le modele? Je ne sais pas, je n'en ai pas connu _a fond_ qui
n'eut quelque, tache au soleil, je yeux dire quelque cote par ou cet
artiste touchait a l'epicier. Vous n'avez peut-etre pas cette tache,
vous devriez vous peindre. Moi, je l'ai. J'aime les classifications, je
touche au pedagogue. J'aime a coudre et a torcher les enfants, je touche
a la servante. J'ai des distractions et je touche a l'idiot. Et puis,
enfin, je n'aimerais pas la perfection; je la sens et ne saurais la
manifester. Mais on pourrait bien lui donner des defauts dans sa nature.
Quels? Nous chercherons ca quelque jour. Ca n'est pas dans votre sujet
actuel et je ne dois pas vous en distraire.
Ayez moins de cruaute envers vous. Allez de l'avant, et, quand le
souffle aura produit, vous remonterez le ton general et sacrifierez ce
qui ne doit pas venir au premier plan. Est-ce que ca ne se peut pas?
Il me semble que si. Ce que vous faites parait si facile, si abondant!
c'est un trop plein perpetuel, je ne comprends rien a votre angoisse.
Bonsoir, cher frere; mes tendresses a tous les votres. Je suis revenue a
ma solitude de Palaiseau, je l'aime; je m'en retourne a Paris lundi. Je
vous embrasse bien fort. Travaillez bien.
DCXXII
A M. THOMAS COUTURE, A PARIS
Palaiseau, 13 decembre 1866.
Cher maitre,
Votre ouvrage soulevera, je crois, des tempetes, et deja on veut m'en
rendre solidaire. On annonce que ma preface est prete. Cela n'est pas,
et, reflexion faite, je ne la ferai pas. Tant que j'ai ignore la partie
qui est toute de critique, et meme apres avoir ecoute la lecture de
plusieurs fragments, je vous ai dit _oui._ Pourtant je vous
conseillais de faire de votre ouvrage un traite, sans vous lancer
dans l'appreciation des vivants, ou des morts de la veille; vous avez
persiste, c'etait votre droit indiscutable. Vous avez pourtant modifie
votre jugement sur Delacroix quant aux expressions; mais, j'y ai pense
depuis, le fond reste le meme, il n'en pouvait etre autrement.
D'ailleurs, je ne pourrais pas vous demander d'epargner les autres, de
faire des reserves, vous m'enverriez promener et vous feriez bi
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