sormais de chercher a le deviner et a le definir; je
vois un grand danger a ces efforts d'imagination qui nous rendent
systematiques, intolerants et _fermes_ au progres, qui souffle toujours
et quand meme des quatre coins de l'horizon. Mais j'ai la notion du
devenir incessant et eternel, et, quel qu'il soit, il m'est demontre
interieurement, par un sentiment invincible, qu'il est logique, et par
consequent beau et bon. C'est assez pour vivre dans l'amour du bien et
dans le calme relatif, dans la dose de serenite fatalement restreinte
et passagere que nous permet la solidarite avec l'univers et avec nos
semblables. Ma petite philosophie pratique est devenue d'une excessive
modestie.
Je voudrais vous faire lire l'avant-dernier et le dernier roman que
j'ai publies, _M. Sylvestre_ et _le Dernier. Amour,_ qui en est le
complement. C'est naif pour ne pas dire niais; mais il y a, au fond, des
choses vraies qui ont ete bien senties, et qui ne vous deplairaient pas.
Une page de cela de temps en temps pourrait vous faire l'effet d'une
potion innocente, qui amuse l'ennui et la douleur. Si vous n'avez pas
ces petits volumes sous la main, je dirai qu'on vous les envoie. Ils
vous mettront en communication pour ne pas dire en communion avec votre
vieille amie.
Je vous parle de moi, c'est en vue de notre ideal commun, du reve
interieur qui nous soutient et qui vous remplissait de force et de
serenite, la veille d'une condamnation a mort. Vous voila condamne a la
vie maintenant, cher ami! a une vie de langueur, d'empechement et de
souffrance, ou votre ame stoique s'epanouit quand meme et vibre au
souffle de toutes les emotions patriotiques.
Je remarque avec attendrissement que vous etes reste _chauvin_, comme
disent nos jeunes beaux esprits de Paris, c'est-a-dire guerrier et
chevalier--comme je suis restee _troubadour_, c'est-a-dire croyant a
l'amour, a l'art, a l'ideal, et chantant quand meme, quand le monde
siffle et baragouine. Nous sommes les jeunes fous de cette generation.
Ce qui va nous remplacer s'est charge d'etre vieux, blase, sceptique a
notre place. Ceci donne, helas! bien raison a vos craintes sur l'avenir.
Voici justement ce que m'ecrit, en meme temps que vous, un excellent
ami a moi, Gustave Flaubert, un de ceux qui sont restes jeunes, a
quarante-six ans: "Ah! oui, je veux bien vous suivre dans une autre
planete; _l'argent_ rendra la notre inhabitable dans un avenir
rapproche. Il sera impossible, meme au plus riche,
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