et chaud, a mille lieues des
journaux, des fiacres, du brouillard!... Et que de jolies choses autour
de moi! Il y a a peine huit jours que je suis installe, j'ai deja la
tete bourree d'impressions et de souvenirs... Tenez! pas plus tard
qu'hier soir, j'ai assiste a la rentree des troupeaux dans un _mas_ (une
ferme) qui est au bas de la cote, et je vous jure que je ne donnerais
pas ce spectacle pour toutes les _premieres_ que vous avez eues a Paris
cette semaine. Jugez plutot.
Il faut vous dire qu'en Provence, c'est l'usage, quand viennent les
chaleurs, d'envoyer le betail dans les Alpes. Betes et gens passent cinq
ou six mois la-haut, loges a la belle etoile, dans l'herbe jusqu'au
ventre; puis, au premier frisson de l'automne on redescend au _mas_,
et l'on revient brouter bourgeoisement les petites collines grises que
parfume le romarin... Donc hier soir les troupeaux rentraient. Depuis
le matin, le portail attendait, ouvert a deux battants; les bergeries
etaient pleines de paille fraiche. D'heure en heure on se disait:
"Maintenant ils sont a Eyguieres, maintenant au Paradou." Puis, tout a
coup, vers le soir, un grand cri: "Les voila!" et la-bas, au lointain,
nous voyons le troupeau s'avancer dans une gloire de poussiere. Toute la
route semble marcher avec lui... Les vieux beliers viennent d'abord, la
corne en avant, l'air sauvage; derriere eux le gros des moutons, les
meres un peu lasses, leurs nourrissons dans les pattes;--les mules a
pompons rouges portant dans des paniers les agnelets d'un jour qu'elles
bercent en marchant; puis les chiens tout suants, avec des langues
jusqu'a terre, et deux grands coquins de bergers drapes dans des
manteaux de cadis roux qui leur tombent sur les talons comme des chapes.
Tout cela defile devant nous joyeusement et s'engouffre sous le portail,
en pietinant avec un bruit d'averse... Il faut voir quel emoi dans la
maison. Du haut de leur perchoir, les gros paons vert et or, a crete de
tulle, ont reconnu les arrivants et les accueillent par un formidable
coup de trompette. Le poulailler, qui s'endormait, se reveille en
sursaut. Tout le monde est sur pied: pigeons, canards dindons, pintades.
La basse-cour est comme folle; les poules parlent de passer la nuit!...
On dirait que chaque mouton a rapporte dans sa laine, avec un parfum
d'Alpe sauvage, un peu de cet air vif des montagnes qui grise et qui
fait danser.
C'est au milieu de tout ce train que le troupeau gagne son gite. Rien de
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