gentil comme le pere Latreille[1].
Vous m'avez envoye assez de guimauve pour faire pousser deux millions
de dents; comme j'espere que mon heritier[2] n'en aura pas tout a fait
autant, j'ai fait deux bouteilles de sirop dont vous vous lecherez les
barbes si vous vous depechez de venir a Nohant; car mon petit n'est
pas disposer a vous en laisser beaucoup. Au reste, votre envoi a fait
bon effet, puisque nous avons deux grandes dents. Vous seriez amoureux
de lui maintenant: il est beau comme vous, et leste comme son pere.
J'aimerais autant tenir une grenouille, elle ne sauterait pas mieux.
Adieu, mon petit pere. Nous vous embrassons et sommes vos bons amis.
LES DEUX CASIMIRS[3].
[1] Vieil ami et correspondant de la famille.
[2] Maurice, son fils, qui avait alors quatre mois.
[3] Nom de Francois-Casimir Dudevant, son mari.
IV
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS
Je ne sais pas la date.
Nous sommes le deuxieme dimanche de
careme[1].
Je suis enchantee d'apprendre que vous vous portiez mieux, chere
petite maman, et j'espere bien qu'a l'heure ou j'ecris, vous etes tout
a fait guerie; du moins je le desire de tout mon coeur, et, si je le
pouvais, je vous rendrais vos quinze ans, chose qui vous, ferait grand
plaisir, ainsi qu'a bien d'autres.
C'est un grand embarras que vous avez pris de sevrer un gros garcon
comme Oscar[2], et vous avez rendu a Caroline[3] un vrai service de
mere. Le mien n'a plus besoin de nourrice, il est sevre. C'est
peut-etre un peu tot; mais il prefere la soupe et l'eau et le vin a
tout, et, comme il ne cherche pas a teter, mon lait a diminue, sans
que ni lui ni moi nous en apercevions.
Il est superbe de graisse et de fraicheur il a des couleurs tres
vives, l'air tres decide, et le caractere _idem_. Il n'a toujours que
six dents; mais il s'en sert bien pour manger du pain, des oeufs, de
la galette, de la viande, enfin tout ce qu'il peut attraper. Il mord,
comme un petit chien, les mains qui, l'ennuient en voulant le coiffer,
etc. Il pose tres bien ses pieds pour marcher, mais il est encore trop
jeune pour courir apres Oscar: dans un an ou deux, ils se battront
pour leurs joujoux.
J'espere, ma chere maman, que le desir que vous me temoignez de nous
revoir, et que nous partageons, sera bientot rempli. Nous esperons
faire une petite fugue vers Paques, pour presenter M. Maurice a son
g
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