Certes,
le sang de ces hommes-la circule autrement que le notre; leurs nerfs ont
un equilibre different; leurs pensees, un autre cours; leurs sensations
une autre maniere de se produire. Interrogez-les, il n'en est pas un qui
n'ait vu des prodiges, des apparitions, des scenes de nuit etranges,
inexplicables. Il en est parmi eux de tres-braves, de tres-raisonnables,
de tres-sinceres, et ce ne sont pas les moins hallucines. Lisez toutes
les observations recueillies a cet egard, vous y verrez, par une foule
de faits curieux et bien observes, que l'hallucination est compatible
avec le plein exercice de la raison.
C'est un etat maladif du cerveau; cependant il est presque toujours
possible d'en pressentir la cause physique ou morale dans une
perturbation de l'ame ou du corps; mais elle est quelquefois inattendue
et mysterieuse au point de surprendre et de troubler un instant les
esprits les plus fermes.
Chez les paysans, elle se produit si souvent, qu'elle semble presque une
loi reguliere de leur organisation. Elle les effraye autrement que nous.
Notre grande terreur, a nous autres, quand le cauchemar ou la fievre
nous presentent leurs fantomes, c'est de perdre la raison, et plus nous
sommes certains d'etre la proie d'un songe, plus nous nous affectons de
ne pouvoir nous y soustraire par un simple effort de la volonte. On a vu
des gens devenir fous par la crainte de l'etre. Les paysans n'ont pas
cette angoisse; ils croient avoir vu des objets reels; ils en ont
grand'peur; mais la conscience de leur lucidite n'etant point ebranlee,
l'hallucination est certainement moins dangereuse pour eux que pour
nous. L'hallucination n'est, d'ailleurs, pas la seule cause de mon
penchant a admettre, jusqu'a un certain point, les visions de la nuit.
Je crois qu'il y a une foule de petits phenomenes nocturnes, explosions
ou incandescences de gaz, condensations de vapeurs, bruits souterrains,
spectres celestes, petits aerolithes, habitudes bizarres et inobservees,
aberrations meme chez les animaux, que sais-je? des affinites
mysterieuses ou des perturbations brusques des habitudes de la nature,
que les savants observent par hasard et que les paysans, dans leur
contact perpetuel avec les elements, signalent a chaque instant sans
pouvoir les expliquer.
Par exemple, que pensez-vous de cette croyance aux _meneurs de loups_?
Elle est de tous les pays, je crois, et elle est repandue dans toute la
France. C'est le dernier vestige de la croyance
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