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sentir; le chien continuait a me mordre, le maitre me battait; je me
repentais amerement de ma paresse. Enfin le fermier renvoya _Garde a
vous_, cessa de me battre, detacha le noeud coulant, me passa un licou,
et m'emmena tout penaud et tout meurtri pour m'atteler a la charrette
qui m'attendait.
Je sus depuis qu'un des enfants etait reste sur la route, pres de la
barriere, pour m'ouvrir si je revenais; il m'avait apercu sortant du
fosse, et il l'avait dit a son pere. Le petit traitre!
Je lui en voulus de ce que j'appelais une mechancete, jusqu'a ce que mes
malheurs et mon experience m'eussent rendu meilleur.
Depuis ce jour on fut bien plus severe pour moi; on voulut m'enfermer,
mais j'avais trouve moyen d'ouvrir toutes les barrieres avec mes
dents; si c'etait un loquet, je le levais; si c'etait un bouton, je le
tournais; si c'etait un verrou, je le poussais. J'entrais partout, je
sortais de partout. Le fermier jurait, grondait, me battait: il devenait
mechant pour moi, et moi, je l'etais de plus en plus pour lui. Je me
sentais malheureux par ma faute; je comparais ma vie miserable avec
celle que je menais autrefois chez ces memes maitres; mais, au lieu de
me corriger, je devenais de plus en plus entete et mechant. Un jour,
j'entrai dans le potager, je mangeai toute la salade; un autre jour, je
jetai par terre son petit garcon, qui m'avait denonce; une autre fois,
je bus un baquet de creme qu'on avait mis dehors pour battre du beurre.
J'ecrasais leurs poulets, leurs petits dindons, je mordais leurs
cochons; enfin je devins si mechant, que la maitresse demanda a son mari
de me vendre a la foire de Mamers, qui devait avoir lieu dans quinze
jours. J'etais devenu maigre et miserable a force de coups et de
mauvaise nourriture. On voulut, pour me mieux vendre, me mettre en bon
etat, comme disent les fermiers. On defendit aux gens de la ferme et aux
enfants de me maltraiter; on ne me fit plus travailler, on me nourrit
tres bien: je fus tres heureux pendant ces quinze jours. Mon maitre me
mena a la foire et me vendit cent francs. En le quittant, j'aurais bien
voulu lui donner un bon coup de dent, mais je craignis de faire prendre
mauvaise opinion de moi a mes nouveaux maitres, et je me contentai de
lui tourner le dos avec un geste de mepris.
VII
LE MEDAILLON
J'avais ete achete par un monsieur et une dame qui avaient une fille
de douze ans toujours souffrante, et qui s'ennuyait. Elle vivait a la
campagne et s
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