fant, et il avait suivi le cercueil jusqu'au
cimetiere; du reste, la grand'mere avait du bien, l'enfant n'etait pas
pauvre.
On fit venir la bonne chevre chez le garde, qui eleva l'enfant et en fit
un bon petit sujet. Je le connais, il s'appelle Jean Thibaut: il ne fait
jamais de mal aux animaux, ce qui prouve son bon coeur; et il m'aime
beaucoup, ce qui prouve son esprit.
VI
LA CACHETTE
J'etais heureux, je l'ai deja dit; mon bonheur devait bientot finir.
Le pere de Georget etait soldat; il revint dans son pays, rapporta de
l'argent, que lui avait laisse en mourant son capitaine, et la croix,
qui lui avait donnee son general. Il acheta une maison a Mamers, emmena
son petit garcon et sa vieille mere, et me vendit a un voisin qui avait
une petite ferme. Je fus triste de quitter ma bonne vieille maitresse et
mon petit maitre Georget; tous deux avaient toujours ete bons pour moi,
et j'avais bien rempli tous mes devoirs.
Mon nouveau maitre n'etait pas mauvais, mais il avait la sotte manie
de vouloir faire travailler tout le monde, et moi comme les autres.
Il m'attelait a une petite charrette, et il me faisait charrier de
la terre, du fumier, des pommes, du bois. Je commencais a devenir
paresseux; je n'aimais pas a etre attele, et je n'aimais pas surtout le
jour du marche. On ne me chargeait pas trop et l'on ne me battait pas,
mais il fallait ce jour-la rester sans manger depuis le matin jusqu'a
trois ou quatre heures de l'apres-midi. Quand la chaleur etait forte,
j'avais soif a mourir, et il fallait attendre que tout fut vendu, que
mon maitre eut recu son argent, qu'il eut dit bonjour aux amis, qui lui
faisaient boire la goutte.
Je n'etais pas tres bon alors; je voulais qu'on me traitat avec amitie,
sans quoi je cherchais a me venger. Voici ce que j'imaginai un jour;
vous verrez que les anes ne sont pas betes; mais vous verrez aussi que
je devenais mauvais.
Le jour du marche, on se levait de meilleure heure que de coutume a la
ferme; on cueillait les legumes, on battait le beurre, on ramassait les
oeufs. Je couchais pendant l'ete dans une grande prairie. Je voyais et
j'entendais ces preparatifs, et je savais qu'a dix heures du matin on
devait venir me chercher pour m'atteler a la petite charrette, remplie
de tout ce qu'on voulait vendre. J'ai deja dit que ce marche m'ennuyait
et me fatiguait. J'avais remarque dans la prairie un grand fosse rempli
de ronces et d'epines; je pensai que je pourrais m'y cacher,
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