on se perdait; de
vieux ombrages presque vierges, que l'on savait ou trouver et que nous
seuls connaissions, ont disparu, et la botanique sylvestre est au
diable.
Refaire un roman berrichon! non, je ne vous l'ai pas promis. Ce serait
repasser par le chemin des regrets, et vraiment, a mon age, il faut
combattre une tendance si naturelle et si fondee. Il faut vivre en
avant; c'est la devise de notre pays, et, quoi qu'il m'en coute de
secouer mes souvenirs, je ne veux pas meconnaitre ce que l'avenir
peut nous apporter. Je ne veux pas etre ingrate non plus envers la
vieillesse, qui est aussi un bon age, plein d'indulgence, de patience et
de clartes. Si l'on me rendait mes energies, je ne saurais plus qu'en
faire, n'etant plus dupe de moi-meme. Je voudrais revoir l'Italie, parce
que ce sera une Italie nouvelle. Retrouverai-je la force d'y'aller? Ce
n'est pas sur; mais je ne veux pas m'en tourmenter. Si j'en suis a mes
dernieres lueurs, je me dirai que j'ai bien assez fait le metier du
chien tournebroche et que la vie eternelle est un voyage qui promet
assez d'emotions et d'etonnements.
Priez donc Paul de Saint-Victor de me faire envoyer son livre [1]? C'est
un talent, ah! oui, et un vrai. En lisant tant de chefs-d'oeuvre jetes
le matin dans un feuilleton comme des perles a la consommation brutale
des pourceaux, je me demandais toujours pourquoi cela n'etait pas
rassemble et publie. Je suis curieuse de savoir si je retrouverai
l'emotion que cela m'a donnee en detail.
Non, Theo [2] ne sera pas de l'Academie. Il ne voudra pas faire ce qu'il
faut pour cela, ou, s'il s'y resigne, il le fera mal. Il ne se tiendra
pas de dire ce qu'il pense des vieux fetiches. Si je me trompe, je serai
bien etonnee, par exemple!
Mais, vous qui ne parlez pas de vous, etes-vous toujours decide a
quitter la France dans un temps donne? Non, cela me parait impossible.
Il me semble que la France a besoin de ses amants; ceux qui lui
appartiennent legitimement la meconnaissent ou la brutalisent. Restez
avec nous, aidez-nous a rester Francais ou a le redevenir.
N'oubliez pas que vous m'avez promis de venir me voir ici. Notre vieille
maison est un coin assez curieux, ou l'on a reussi, pendant trente ans,
a vivre en dehors de toute convention et a etre artiste pour soi, sans
se donner en spectacle au monde. Vous y serez recu par mes enfants comme
un ami.
Et bonsoir! me voila tres fatiguee devoir ecrit; mais je suis a vous de
tout coeur.
G. SA
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