et la plus vieille de ses
illusions etait evanouie: un pouvoir s'etait rencontre qui ne pliait
pas devant lui. La verite et l'eloquence avaient ete vaincues dans sa
personne, et l'ascendant de son genie etait meconnu. Pour la premiere
fois, il sentait sa faiblesse et presque son declin. On ne peut peindre
son desespoir. Passant de l'abattement a la fureur, il accusait Dieu
meme qui l'avait abandonne, ou, cachant dans ses mains son front baigne
de larmes, il se disait que ses souffrances et ses affronts passes
etaient peu de chose aupres de ce qu'il eprouvait. Jadis, au moins, il
etait coupable, et il avait en quelque sorte merite son malheur; mais
aujourd'hui, c'etait a ses yeux une foi sincere, un amour desinteresse
du vrai qui faisait de lui le plus malheureux des mortels. Qu'allait-il
devenir? on avait cette fois attente sur sa gloire.
[Note 123: Geoffroi, surnomme Cou de Cerf, ancien abbe de
Saint-Thierry, abbe de Saint-Medard en 1120, eveque de Chalons en 1131,
et qui mourut en 1149. On a de lui des lettres et quelques ecrits.
(Voyez son article dans l'_Histoire litteraire_, t. XIII, p.
185.--_Annal. Bened_., t. VI, l. LXXV, p. 190; Append. p. 639.--_Gall.
Christ_., t. IX, p. 186 et 415.)]
La maniere dont le proces fut conduit prouve, en effet, qu'une justice
eclairee ne guidait point ses juges, et les operations du concile ont
quelques-uns des caracteres de la persecution[124]. La haine et l'envie
avaient depuis longtemps une revanche a prendre, et elles se plurent a
employer comme instruments la sincerite ignorante, la piete craintive,
et surtout cette intolerance de si bonne foi que le pouvoir
ecclesiastique regarde naturellement comme un devoir, en presence de ce
qui agite les consciences et peut troubler l'unite silencieuse de la
croyance commune. La lutte directe parait s'etre engagee entre l'esprit
dans son audace et la mediocrite dans sa prudence, et ce fut l'esprit
qui succomba. Cependant il n'est pas aussi vrai que se l'imaginait
Abelard que la malveillance seule put trouver a redire a ses ouvrages,
et que la foi, meme eclairee, surtout eclairee, n'en dut concevoir aucun
ombrage. Si la parole lui avait ete accordee, quoi qu'il eut pu dire, et
a moins qu'il n'eut denature sa doctrine, il ne l'aurait point sauvee
d'une consequence perilleuse, savoir que trois des attributs generaux de
la divinite etant assignes, chacun specialement et comme une propriete
distinctive, a une personne differente de la Trin
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