u'elle put lui trouver quelque excuse! Mais son silence le condamne. A
defaut de sa presence, qu'il lui rende au moins par ses lettres sa chere
et fugitive image. Pourquoi lui refuser une petite chose et si facile?
Qu'il se souvienne que, toute jeune encore, il l'a enchainee a la vie du
cloitre. Elle l'y a precede, et non suivi, parce qu'il l'a voulu, parce
qu'il se souvenait que la femme de Loth avait, en fuyant, retourne la
tete. Si ce devouement n'a rien merite de lui, a quoi est-il bon? Le
sacrifice est vain, car de Dieu, elle n'a point de recompense a esperer,
puisqu'elle n'a rien fait, rien encore, on le sait, pour l'amour de lui;
mais Abelard, il eut couru aux enfers, que sur un ordre de lui, elle l'y
aurait suivi ou devance. "Car mon ame n'etait pas avec moi, mais avec
toi. Et maintenant encore, si elle n'est avec toi, elle n'est nulle part
au monde[178]."
[Note 178: "Nulla mihi super hoc merces expectanda est a Deo, cujus
adhoc amore nihil me constat egisse.... Ad vulcania loca te properantem
praecedere aut sequi pro jussu lau nemine dubitarem. Non enim mecum
animus meus, sed tecum erat; sed et nunc maxime, si tecum non est,
nusquam est. (Ep. u, p. 47.)]
Elle conclut en le priant par grace de lui ecrire, elle a besoin d'une
lettre qui lui rende quelque force, afin de vaquer plus librement aux
devoirs du service divin. Autrefois, pour l'entrainer a des voluptes
temporelles, il la poursuivait de ses lettres; il mettait, par ses
vers, le nom de son Heloise dans la bouche de tous. "Toutes les places
publiques, toutes les maisons le repetaient. Combien tu ferais mieux de
m'appeler maintenant a Dieu, comme alors a la passion[179]!" Et elle
finit ainsi cette etrange et incomparable lettre.
[Note 179: _Ab. Op._, ep. II, p. 48.]
Abelard repond comme un _frere spirituel a sa bien-aimee soeur en
Jesus-Christ_[180]. Il s'excuse d'un long silence par la confiance
absolue qu'il a dans sa sagesse, sa piete, sa science. Il n'a pas cru
qu'elle eut besoin d'etre exhortee ou consolee, elle a qui Dieu a
departi tous les dons de sa grace. Ce qui eut ete superflu, quand elle
n'etait que prieure d'Argenteuil, l'est plus encore maintenant qu'elle
est abbesse du Paraclet. Cependant en promettant de lui adresser des
instructions, quand il connaitra mieux ce qu'elle desire, il s'empresse
du moins de lui envoyer un psautier. Puis passant a la situation funeste
ou lui-meme il se trouve, il la supplie, elle et les saintes filles,
de
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