ur de l'homme est mauvais et
impenetrable. Qui le connaitra? L'homme a des voies qui paraissent
droites, et finalement elles conduisent a la mort. Aussi est-il
temeraire de le juger; l'examen n'en est reserve qu'a Dieu; c'est ainsi
qu'il est ecrit: _Tu ne loueras pas l'homme durant la vie_[186]. Et
surtout il ne faut pas le louer, quand la louange peut le rendre moins
louable. Ainsi tes louanges sont pour moi d'autant plus dangereuses
qu'elles me sont plus douces; et j'en suis d'autant plus captivee et
charmee que je mets mon etude a te plaire en toutes choses. Crains pour
moi, je t'en conjure, au lieu d'etre sur de moi, et que ta sollicitude
me vienne toujours en aide. C'est aujourd'hui qu'il faut craindre,
aujourd'hui que tu ne calmes plus les desirs de mon ame[187]. Ne me dis
donc plus, pour m'exhorter au courage et m'exciter au combat, ces mots
de l'apotre: _La vertu s'acheve dans la faiblesse.... Celui-la seul sera
couronne qui aura regulierement combattu_[188]. Je ne cherche pas la
couronne de la victoire; il me suffit d'echapper au peril. Il est plus
sur de l'eviter que d'engager le combat. Dans quelque coin du ciel que
Dieu me relegue, il fera bien assez pour moi."
[Note 186: _Eccl_., XI, 30. Il y a dans le texte sacre: _Ne loue pas
un homme avant sa mort._]
[Note 187: "Nunc vere praecipue timendum est ubi nullum
incontinentiae meae superest in te remedium. (_Ab. Op_., ep. IV, p.
61.)]
[Note 188: II Cor. XII, D.--II Timoth. II, 5.]
Abelard accueillit cette lettre comme une confession pour y repondre par
une homelie[189]. Il en traita tous les points avec methode, et trouva
dans toutes les plaintes d'une infortunee le motif ou le pretexte d'un
sermon. D'abord, il ne veut voir dans les aveux d'Heloise qu'une preuve
d'humilite, et il l'approuve de ne point aimer la louange, pourvu
cependant qu'elle prenne garde d'imiter la Galatee de Virgile qui fuit
et cherche en fuyant ce qu'elle semble eviter. A la peinture de leurs
malheurs passes et de ses cruels regrets, il repond comme un confesseur
que ces maux sont un chatiment merite, une lecon utile, une expiation
necessaire. Il lui rappelle fort nettement leurs peches, afin de la
bien convaincre que Dieu ne leur a fait que justice. Il la prie donc
tres-instamment de deposer toute cette amertume dont il la croyait
delivree, et surtout de ne plus deplorer les circonstances de leur
commune conversion, dont elle devrait plutot remercier le ciel. Il
la conjure, puis
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