quence et de naturel. Le style, etudie
sans elegance, orne sans grace, a quelque froideur dans sa subtilite
spirituelle, dans son erudite redondance. Abelard discute toujours; il
demontre par arguments et citations les sentiments les plus simples, les
emotions les plus vives. Les actions se hasardaient alors plus que les
pensees, et des qu'on ecrivait, il fallait tout justifier. Mais il
raconte des aventures reelles et tragiques, il ouvre son ame tout en
dissertant sur ce qu'elle eprouve; en raisonnant, il souffre, et il vous
met ainsi dans la confidence d'illusions si cruelles, de si violents
mecomptes, d'humiliations si dechirantes, il vous fait assister de si
pres aux douleurs et aux faiblesses d'un homme superieur, qu'il n'est
pas de roman plus penible a lire, et qu'aucun enseignement meilleur ne
vous saurait etre donne de la misere des plus belles choses de ce monde,
le genie, la science, la gloire, l'amour.
L'_Historia calamitatum_ marque une grande epoque dans la vie d'Abelard.
D'abord c'est a dater de cette epitre que les details biographiques
commencent a nous manquer; puis, comme pour combler cette lacune et
diminuer nos regrets, c'est cette lettre qui nous a valu les lettres
d'Heloise. Jusque-la, il ne reste rien d'elle; on ne la connait que par
son amant; maintenant elle va parler elle-meme. Nous entrerons dans un
recit d'une forme nouvelle; pour raconter, nous aurons davantage besoin
de nos conjectures. Par exemple, on ignore si Abelard resta longtemps
chez ce seigneur qui l'avait recueilli, et si cette maison fut son
dernier asile en Bretagne. Il y ecrivit sa grande epitre; ses lettres
posterieures indiquent qu'il demeura quelque temps soit dans ce lieu,
soit dans un autre de la meme contree, avant de rompre tout lien avec
les moines de Saint-Gildas. On suppose avec quelque apparence de raison
qu'il redigea vers ce temps ou revit et mit en ordre une partie de ses
ouvrages. Plusieurs des ecrits composes pour le Paraclet doivent
etre venus de la Bretagne. Enfin l'on ne sait quand ni comment il la
quitta[170]. Il est evident que, malgre tant de cruels degouts, il
repugnait a renoncer, au moins par le fait, a son abbaye. Le devoir et
un juste orgueil le retenaient; son ambition n'avait nullement dedaigne
la dignite dont l'election l'avait revetu; c'etait alors un rang
tres-eleve que celui de chef et de gouverneur d'une importante
communaute. C'etait une position forte dans l'Eglise, et tant qu'il la
conservai
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