ent parmi les enfants de perdition. Oh! quelle perte detestable,
quel deplorable malheur, si aujourd'hui, t'abandonnant aux souillures
des voluptes de la chair, tu donnais douloureusement le jour a quelques
enfants du monde, au lieu de cette famille nombreuse que tu enfantes
avec joie pour le ciel! Tu ne serais plus qu'une femme, toi qui
surpasses les hommes, et qui as change la malediction d'Eve en
benediction de Marie! Oh! qu'il serait indecent que ces mains sacrees
qui tournent aujourd'hui les pages des livres divins, fussent reduites a
servir a des soins grossiers! Dieu a daigne nous arracher aux souillures
contagieuses, aux plaisirs de la fange, et nous attirer a lui par cette
force dont il frappa saint Paul pour le convertir, et peut-etre a-t-il
voulu, par notre exemple, preserver d'une orgueilleuse presomption les
autres personnes habiles dans les lettres[192]."
[Note 192: "Hoc ipso fortassis exemplo nostro alios quoque
literarium peritos ab hac deterrere praesumptione. (_ Ab. Op_., ep, v,
p. 72-73.)]
Puis, par un mouvement dont la vehemence eloquente tranche avec sa
maniere un peu didactique, Abelard l'engage a surmonter ses douleurs en
lui presentant le tableau des souffrances de Jesus-Christ, exhortation
presque inevitable dans la bouche du predicateur chretien, mais qui sera
eternellement emouvante et pathetique.
"Ma soeur," ajoute-t-il, "c'est ton epoux veritable que cet epoux de
toute l'Eglise: garde-le devant tes yeux, porte-le dans ton coeur....
C'est lui qui de toi ne veut que toi-meme. Il est ton veritable ami,
celui qui ne desirait que toi et non ce qui etait a toi. Il est ton
veritable ami celui qui disait en mourant pour toi: _Personne n'a pour
ses amis une plus grande affection que celui qui donne sa vie pour eux_,
(Jean, XV, 13.) Il t'aimait, lui, veritablement, et non pas moi. Mon
amour, qui nous enveloppait tous deux dans le peche, etait de la
concupiscence, et non de l'amour. Je satisfaisais en toi mes desirs
miserables, et c'etait la tout ce que j'aimais. J'ai, dis-tu, souffert
pour toi, et c'est peut-etre vrai; mais j'ai plutot souffert par toi,
et encore malgre moi; j'ai souffert, non pour l'amour de toi, mais par
contrainte et par force, non pour ton salut, mais pour ta douleur. Lui
seul a souffert salutairement, volontairement pour toi, qui par sa
passion guerit toute langueur, ecarte toute passion. Que pour lui donc,
je t'en prie, et non pour moi, soit tout ton devouement, toute ta
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