force ne suffisait plus a ses epreuves; toujours aussi
imprudent et rendu plus timide, il etait pret a chercher dans les partis
extremes le repos et la securite qu'il voulait a tout prix. Il partit
donc pour la Bretagne; et ce pasteur, plein de souvenirs melancoliques,
de meditations reveuses, tout occupe des plus delicates recherches de la
pensee, alla gouverner un indomptable troupeau de moines sauvages, qui
n'auraient pas su l'entendre et ne voulaient point lui obeir. Une vie
grossiere et dereglee, le desordre, la violence, la ferocite, tels
etaient les nouveaux ennemis qu'il avait a vaincre; des les premiers
instants, il reconnut avec effroi quelle tache ingrate et chimerique il
avait acceptee. Pour comble d'ennuis, un seigneur, tyran de la contree,
a la faveur de l'inconduite des religieux, avait fait comme la conquete
du monastere dont il tenait presque tous les domaines; il ecrasait les
moines de ses exactions, il les forcait a payer tribut comme des juifs.
La communaute etant ainsi depouillee, ses membres recouraient pour leurs
besoins journaliers a leur abbe qui n'y pouvait suffire, et qui se
plaisait peu d'ailleurs a soudoyer leurs profusions, leurs debauches,
et la scandaleuse famille que chacun d'eux s'etait donnee. De la des
plaintes continuelles, des reproches, des vols secrets, et une sorte
de complot pour compromettre ou lasser un chef trop severe, et le
contraindre de renoncer a son opiniatre desir de retablir la discipline.
Abelard, prive d'appui, de conseil, n'ayant personne qui put le seconder
ou le comprendre, vivait dans le sentiment penible d'un isolement sans
repos et d'une activite sans puissance. Au dehors, les satellites du
tyran voisin l'epiaient en le menacant; au dedans, les freres lui
dressaient mille embuches. La, sur ces rochers desoles, au bruit sourd
des flots, en presence de l'immensite sombre du ciel et de la mer, il
songeait avec une inexprimable tristesse a la vanite de toutes ses
entreprises. Il se rappelait tous les maux qu'il avait voulu fuir, il
voyait ceux qu'il etait venu chercher, et il hesitait dans le choix.
Une melancolie profonde respire dans tout ce qu'il a ecrit, et par
la aussi il a devance son temps et se trouve en intelligence avec la
tristesse un peu plaintive du genie litteraire du notre. Des monuments
singuliers de cette disposition d'ame ont ete retrouves naguere. La
bibliotheque du Vatican a livre a l'erudition allemande des chants
elegiaques longtemps inconnus
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