our Dieu."
J'aime mieux ce jugement de d'Alembert repondant a Rousseau: "Quand vous
dites que les femmes _ne savent ni decrire ni sentir_ l'amour meme, il
faut que vous n'ayez jamais lu les lettres d'Heloise ou que vous ne les
ayez lues que dans quelque poete qui les aura gatees." (Lettre a
M. Rousseau, _Mel. de phil._., t. II.) On trouve la traduction de
Bussy-Rabutin et presque toutes les pieces de vers composees au nom
d'Heloise et d'Abelard dans un volume in-12 publie a Paris en 1841; le
texte de Pope est reimprime dans l'Abelard illustre de M. Oddoul.]
Le sentiment du reel a commence a renaitre parmi nous, et c'est
aujourd'hui dans leur correspondance authentique que nous voulons
retrouver Heloise et Abelard. Ce qu'on en vient de lire suffit, ce
me semble, pour la faire connaitre. On ne peut songer a comparer ces
lettres qu'aux Lettres portugaises, si toutefois l'imagination n'a point
celles-ci a se reprocher. Dans les premieres, le fond de deux ames
souffrantes apparait avec les formes de l'esprit du temps: l'amour et la
douleur y empruntent le langage d'une erudition sans discernement, d'un
art sans beaute, d'une philosophie sans profondeur; mais ce langage
pedantesque, c'est bien le coeur qui le parle, et le coeur est en
quelque sorte eloquent par lui-meme. Si le gout n'a point orne le
temple, le feu qui brille sur l'autel est un feu divin. Plus heureuse
que la pensee, la passion peut se passer plus aisement de la perfection
de la forme, et quel que soit le vetement dont la recouvre un art
inhabile, elle se fait reconnaitre a ses mouvements, comme la deesse de
Virgile a sa demarche: _Incessu patuit dea_.
Reprenons notre recit.--Lorsqu'une fois les rapports d'Abelard avec la
superieure de l'abbaye du Paraclet eurent ete regles, et qu'il se fut
affranchi de ses derniers liens avec le couvent de Saint-Gildas[200],
il se livra sans reserve a la sollicitude qu'elle lui inspirait, et il
porta dans ses communications chretiennes et intellectuelles un interet
et une affection qui lui paraissaient acquitter les dettes de son coeur,
sans compromettre les froids devoirs de sa profession. Nous avons encore
une partie des ecrits qu'il adressait aux religieuses dans sa paternelle
vigilance pour leur perfection, pour leur instruction, et peut-etre
aussi dans son desir de ne pas cesser d'occuper leur ame et de maitriser
leur pensee. Tantot c'est une exhortation developpee a l'etude des
langues et des lettres, ou l'on voit en
|