ur_. J'interdirai donc a ma main d'ecrire
ce que je ne pourrais empecher ma langue d'exprimer. Dieu veuille que le
coeur qui gemit soit aussi prompt a obeir que la main qui ecrit!
"Tu peux cependant apporter quelque remede a ma douleur, si tu ne peux
l'enlever tout entiere....[196]"
[Note 196: _Ab. Op_. ep, VI, p. 78.]
Et le remede qu'elle demande, c'est qu'il veuille bien d'abord lui
enseigner l'origine historique des ordres religieux de femmes, ainsi que
leurs droits et leur autorite; puis, lui envoyer une regle ecrite, qui
convienne a la communaute, et determine completement son etat, ses
devoirs et son habit. La lettre n'est plus qu'une longue suite de
questions et de reflexions sur ces matieres d'un interet purement
monastique.
Cette lettre est la derniere. Heloise parait n'avoir plus ecrit. Mais
Abelard lui envoya la dissertation qu'elle demandait avec un plan de vie
religieuse et une regle detaillee, qui est curieuse a lire et redigee
avec beaucoup de soin et de severite. Aussi, assure-t-il qu'en la
composant, il a imite Zeuxis, qui pour peindre la beaute d'une deesse,
fit poser cinq jeunes filles devant lui. Il a eu, lui, plus de modeles
sous les yeux pour retracer la vierge du Christ. Ces modeles, ce sont
les Peres de l'Eglise. J'ai cueilli chez eux," dit-il, "de nombreuses
fleurs pour orner les lis de ta chastete[197]." Desormais la
correspondance devint sans doute une pure correspondance spirituelle.
L'abbe de Saint-Gildas ne fut plus que le directeur de l'abbesse du
Paraclet; le couvent tout entier l'appelait _notre maitre_.
[Note 197: Si nous n'avions deja beaucoup cite, il y aurait un
interet d'un autre genre dans les extraits de la correspondance relative
a la regle du couvent. Heloise avait remarque que la regle commune aux
couvents d'hommes et de femmes etait celle de Saint-Benoit, etablie,
dans l'origine, uniquement pour les hommes, et elle demandait quelques
adoucissements qui ne nous paraissent nullement exageres, comme, par
exemple, la permission d'avoir du linge. Abelard ne lui accorda pas
toutes les modifications qu'elle demandait, et lui composa avec force
citations et reflexions une regle assez peu differente de celle de
Saint-Benoit. (_Ab. Op._, ep. VII, p. 91; ep. VIII, p. 130.) A la
suite de la lettre d'Abelard, les archives du Paraclet contenaient
un reglement interieur que l'on croit l'ouvrage d'Heloise ou plutot
l'expression de l'ordre qu'elle avait elle-meme etabli. Duchesne l'a
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