vec aigreur; "beaucoup de ceux qui veulent
disserter sur les especes de l'honnetete ignorent entierement ce que
c'est; et si dorenavant vous dites ou tentez quoi que ce soit qui deroge
a l'honnetete, vous nous trouverez sur votre chemin, et vous eprouverez
que nous n'ignorons pas ce que c'est que l'honnetete, a la facon
dont nous poursuivons son contraire[128]." A cette reponse _ferme et
mordante_, dit le moine historien de Gosvin, _le rhinoceros prit peur,
pavefactus rhinocerosiste_; il se montra les jours suivants plus soumis
a la discipline et plus craintif du fouet, _timidior flagellorum_.
Voila, si ces paroles caracteristiques sont exactes, comment, dans les
retraites de la vie spirituelle, le XIIe siecle traitait et instruisait
les heros de la pensee.
[Note 126: _Ex vit. S. Gosv_., l. I, c. XVIII., _Rec. des Hist_., t.
XIV, p.445.--_Gall. Christ_., t. IX, p. 415.--_Hist. litt. de la Fr._, t.
XII, p. 185.]
[Note 127: "Instar rhinocerontis indomiti disciplinae coercendum
ligamento.--In spiritu lenitatis." (S. Gosv., _ibid_.)]
[Note 128: "Per insectationem contrarii sui." (_Id. ibid_.)]
A peine rendu, cependant, le jugement du concile fut loin de rencontrer
une approbation generale. On trouva dans ses procedes, rudesse, durete,
precipitation. L'oppression etait evidente, le droit tres-douteux.
Beaucoup d'ailleurs penchaient a croire la verite du cote d'Abelard;
bientot ceux qui avaient siege a Soissons durent se justifier; plusieurs
repoussaient la solidarite du jugement et desavouaient leur propre
vote. Le legat attribuait publiquement l'affaire a ce qu'il appelait la
jalousie des Francais, _invidia Francorum_, et tout repentant de ce qui
s'etait passe, il n'attendit pas longtemps pour faire ramener Abelard
dans son couvent[129].
[Note 129: _Ab. Op_., ep. I, p. 25.]
A Saint-Denis, il est vrai, Abelard retrouvait des ennemis. On se
rappelle qu'il s'etait aliene les moines par d'imprudentes remontrances.
Ceux-ci n'etaient disposes ni a les pardonner ni a cesser de les
meriter; et une occasion ne tarda pas a survenir ou il faillit encore se
perdre. Un jour, en lisant le commentaire de Bede le Venerable sur les
Actes des Apotres, il tomba par hasard sur un passage ou il est dit
que Denis l'Areopagite avait ete eveque de Corinthe, et non pas eveque
d'Athenes. Cette opinion ne pouvait etre du gout des moines. Ils
tenaient a ce que leur Denis, fondateur de l'abbaye, et qui d'apres le
livre de ses Gestes, etait
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