e de ta majeste et pour mes
fautes et pour celles de mon bien-aime[195]. Pardonne, o tres-clement! o
la clemence meme! pardonne a nos crimes si grands, et que l'immensite de
nos peches eprouve la grandeur de ta misericorde ineffable. Punis, je
t'en supplie, des coupables dans la vie presente, afin de les epargner
dans la vie future; punis une heure, afin de ne point punir une
eternite. Prends envers tes serviteurs la verge de correction, non le
glaive de la colere. Afflige la chair pour sauver les ames. Epure et ne
venge pas, sois bon plutot que juste; le Pere misericordieux n'est pas
un Seigneur austere. Eprouve-nous, Seigneur, et tente-nous, comme te
le demande le Prophete. Ne semble-t-il pas dire: Regarde d'abord nos
forces, et modere en consequence le poids des tentations. Ainsi parle le
bien-heureux saint Paul dans ses promesses a tes fideles: _Car Dieu est
puissant, et ne souffrira pas que vous soyez tente au dela de votre
pouvoir, mais il vous donnera, avec la tentation meme, la puissance d'en
triompher._ (1 Cor. X, 13.) Tu nous as unis, Seigneur, et tu nous as
separes quand il t'a plu et comme il t'a plu. Maintenant, Seigneur, ce
que tu as misericordieusement commence, accomplis-le en misericorde; et
ceux que tu as une fois separes dans le monde, reunis-les a toi a jamais
dans le ciel, o notre esperance, notre appui, notre attente, notre
consolation, Seigneur, qui es beni dans les siecles! Amen."
[Note 195: "Pro mei ipsis charique mei excessibus. (_Ab. Op._, ep.
V, p. 77.)]
Heloise recut la priere, la repeta sans doute plus d'une fois les yeux
en pleurs, mais elle obeit: elle n'objecta rien, ne conceda rien; elle
promit seulement de ne plus rien ecrire de tout cela; elle savait se
sacrifier, mais non pas changer. Sa reponse commence ainsi: "Pour que tu
ne puisses en rien m'accuser de desobeissance, le frein de ta defense a
ete impose a l'expression meme d'une douleur immoderee, afin qu'au moins
en ecrivant, je retienne des paroles dont il serait difficile ou plutot
impossible de se defendre dans un entretien. Car rien n'est moins en
notre puissance que notre coeur; loin de lui pouvoir commander, force
nous est de lui obeir. Lorsque les affections du coeur nous pressent,
nul ne repousse leurs subites atteintes, et elles eclatent facilement au
dehors par les actions, plus facilement encore par les paroles, signes
bien plus prompts des passions du coeur; selon qu'il est ecrit: _La
bouche parle d'abondance de coe
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