s sacrifiaient toute passion individuelle a l'interet de l'Eglise
et a l'oeuvre du salut. C'etaient des jesuites austeres et altiers.
Le Paraclet etait comme une tribu libre qui campait dans les champs,
retenue par le seul lien du plaisir d'apprendre et d'admirer, de
chercher la verite au spectacle de la nature, voyant dans la religion
une science et un sentiment, non une institution et une cause. C'etait
quelque chose comme les solitaires de Port-Royal, moins l'esprit de
secte et les doctrines du stoicisme[150].
[Note 149: Clairvaux, bourg du departement de l'Aube, a quinze
lieues au dela de Troyes, etait une abbaye du diocese de Langres, fondee
en 1114 ou 1115, par une colonie venue de Citeaux sous la conduite de
saint Bernard. On l'appelait la troisieme fille de Citeaux. (_Gall.
Christ._, t. IV, p. 706.)]
[Note 150: Cette comparaison ne s'applique evidemment qu'a l'esprit
d'independance du Paraclet et a sa situation locale qui rappelle
vaguement celle de Port-Royal-des Champs; car rien ne ressemble moins
aux doctrines du jansenisme que celles d'Abelard; et il a rencontre ses
juges les plus severes parmi les calvinistes, comme ses critiques les
plus indulgents parmi les jesuites.]
Deux institutions aussi opposees et aussi voisines, qui toutes deux
agissaient sur les imaginations des populations environnantes, ne
pouvaient manquer d'etre rivales ou meme ennemies. Elles devaient
reciproquement se soupconner et se meconnaitre. Il y avait autour du
Paraclet plus de mouvement, a Clairvaux plus de puissance reelle, et
je concois que saint Bernard, inquiet de celte oeuvre de la pure
intelligence qu'il devait mal comprendre, en inscrivit des lors l'auteur
sur ces listes de suspects que la defiance du pouvoir ou des partis est
si prompte a dresser, heureuse quand elle n'en fait pas aussitot des
tables de proscription.
Ce qui est certain, c'est qu'Abelard se sentit menace. De tout temps
enclin a l'inquietude, ses malheurs l'avaient rendu craintif; il etait
prompt a voir la persecution la ou il apercevait la malveillance.
Pendant les derniers jours qu'il passa au Paraclet, il vecut dans
l'angoisse, s'attendant incessamment a etre traine devant un concile
comme heretique ou profane. S'il apprenait que quelques pretres dussent
se reunir, il pensait que c'etait le synode qui allait le condamner.
Tout etait pour lui l'eclair annoncant la foudre. Quelquefois il tombait
dans un desespoir si violent qu'il formait le projet de f
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