oyables malheurs les assaillirent par vingt
endroits. D'abord nous eumes donc le client de Marseille, puis deux fois
le feu dans la meme annee, puis la greve des ourdisseuses, puis notre
brouille avec l'oncle Baptiste, puis un proces tres couteux avec nos
marchands de couleurs, puis, enfin, la revolution de 18--, qui nous
donna le coup de grace.
A partir de ce moment, la fabrique ne battit plus que d'une aile; petit
a petit, les ateliers se viderent: chaque semaine un metier a bas,
chaque mois une table d'impression de moins. C'etait pitie de voir la
vie s'en aller de notre maison comme d'un corps malade, lentement, tous
les jours un peu. Une fois, on n'entra plus dans les salles du second.
Une autre fois, la cour du fond fut condamnee. Cela dura ainsi pendant
deux ans; pendant deux ans, la fabrique agonisa. Enfin, un jour, les
ouvriers ne vinrent plus, la cloche des ateliers ne sonna pas, le puits
a roue cessa de grincer, l'eau des grands bassins, dans lesquels on
lavait les tissus, demeura immobile, et bientot, dans toute la fabrique,
il ne resta plus que M. et Mme Eyssette, la vieille Annou, mon frere
Jacques et moi; puis, la-bas, dans le fond, pour garder les ateliers, le
concierge Colombe et son fils le petit Rouget.
C'etait fini, nous etions ruines.
J'avais alors six ou sept ans. Comme j'etais tres frele et maladif,
mes parents n'avaient pas voulu m'envoyer a l'ecole. Ma mere m'avait
seulement appris a lire et a ecrire, plus quelques mots d'espagnol et
deux ou trois airs de guitare, a l'aide desquels on m'avait fait,
dans la famille, une reputation de petit prodige. Grace a ce systeme
d'education, je ne bougeais jamais de chez nous, et je pus assister
dans tous ses details a l'agonie de la maison Eyssette. Ce spectacle me
laissa froid, je l'avoue; meme je trouvai a notre ruine ce cote tres
agreable que je pouvais gambader a ma guise par toute la fabrique, ce
qui, du temps des ouvriers, ne m'etait permis que le dimanche. Je disais
gravement au petit Rouget: "Maintenant, la fabrique est a moi; on me l'a
donnee pour jouer." Et le petit Rouget me croyait. Il croyait tout ce
que je lui disais, cet imbecile.
A la maison, par exemple, tout le monde ne prit pas notre debacle
aussi gaiement. Tout a coup, M. Eyssette devint terrible: c'etait dans
l'habitude une nature enflammee, violente, exageree, aimant les cris,
la casse et les tonnerres; au fond, un tres excellent homme, ayant
seulement la main leste, le verbe h
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