emps-la, l'oncle Baptiste se degouta subitement de son
perroquet et me le donna. Ce perroquet remplaca Vendredi. Je l'installai
dans une belle cage au fond de ma residence d'hiver; et me voila,
plus Crusoe que jamais, passant mes journees en tete-a-tete avec cet
interessant volatile et cherchant a lui faire dire: "Robinson, mon
pauvre Robinson!" Comprenez-vous cela? Ce perroquet, que l'oncle
Baptiste m'avait donne pour se debarrasser de son eternel bavardage,
s'obstina a ne pas parler des qu'il fut a moi.... Pas plus "mon pauvre
Robinson" qu'autre chose; jamais je n'en pus rien tirer. Malgre cela, je
l'aimais beaucoup et j'en avais le plus grand soin.
Nous vivions ainsi, mon perroquet et moi, dans la plus austere solitude,
lorsqu'un matin il m'arriva une chose vraiment extraordinaire. Ce
jour-la, j'avais quitte ma cabane de bonne heure et je faisais, arme
jusqu'aux dents, un voyage d'exploration a travers mon ile.... Tout a
coup, je vis venir de mon cote un groupe de trois ou quatre personnes,
qui parlaient a voix tres haute et gesticulaient vivement. Juste Dieu!
des hommes dans mon ile! Je n'eus que le temps de me jeter derriere un
bouquet de lauriers-roses, et a plat ventre, s'il vous plait.... Les
hommes passerent pres de moi sans me voir.... Je crus distinguer la voix
du concierge Colombe, ce qui me rassura un peu; mais, c'est egal, des
qu'ils furent loin je sortis de ma cachette et je les suivis a distance
pour voir ce que tout cela deviendrait....
Ces etrangers resterent longtemps dans mon ile.... Ils la visiterent
d'un bout a l'autre dans tous ses details. Je les vis entrer dans mes
grottes et sonder avec leurs cannes la profondeur de mes oceans. De
temps en temps ils s'arretaient et remuaient la tete. Toute ma crainte
etait qu'ils ne vinssent a decouvrir mes residences.... Que serais-je
devenu, grand Dieu! Heureusement, il n'en fut rien, et au bout d'une
demi-heure, les hommes se retirerent sans se douter seulement que l'ile
etait habitee. Des qu'ils furent partis, je courus m'enfermer dans
une de mes cabanes, et passai la le reste du jour a me demander quels
etaient ces hommes et ce qu'ils etaient venus faire.
J'allais le savoir bientot.
Le soir, a souper, M. Eyssette nous annonca solennellement que la
fabrique etait vendue, et que, dans un mois, nous partirions tous pour
Lyon, ou nous allions demeurer desormais.
Ce fut un coup terrible. Il me sembla que le ciel croulait. La fabrique
vendue!... Eh bie
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