Parler des yeux noirs au cafe Barbette!
En attendant, le punch circulait, les verres vides s'emplissaient, les
verres remplis se vidaient; c'etait des toasts, des oh! oh! des ah! ah!
des queues de billard en l'air, des bousculades, de gros rires, des
calembours, des confidences...
Peu a peu, le petit Chose se sentit moins timide. Il avait quitte son
encoignure et se promenait par le cafe, parlant haut, le verre a la
main.
A cette heure, les sous-officiers etaient ses amis; il raconta
effrontement a l'un d'eux qu'il appartenait a une famille tres riche et
qu'a la suite de quelques folies de jeune homme, on l'avait chasse de la
maison paternelle; il s'etait fait maitre d'etude pour vivre mais il
ne pensait pas rester au college longtemps... Vous comprenez, avec une
famille tellement riche!...
Ah! si ceux de Lyon avaient pu l'entendre a ce moment-la.
Ce que c'est que de nous, pourtant! Quand on sut au cafe Barbette que
j'etais un fils de famille en rupture de ban, un polisson, un mauvais
drole, et non point, comme on aurait pu le croire, un pauvre garcon
condamne par la misere a la pedagogie, tout le monde me regarda d'un
meilleur oeil. Les plus anciens sous-officiers ne dedaignerent pas de
m'adresser la parole; on alla meme plus loin: au moment de partir,
Roger, le maitre d'armes, mon ami de la veille, se leva et porta un
toast a Daniel Eyssette. Vous pensez si le petit Chose fut fier.
Le toast a Daniel Eyssette donna le signal du depart. Il etait dix
heures moins le quart, c'est-a-dire l'heure de retourner au college.
L'homme aux clefs nous attendait sur la porte.
"Monsieur Serrieres, dit-il a mon gros collegue que le punch d'adieu
faisait trebucher, vous allez, pour la derniere fois, conduire vos
eleves a l'etude; des qu'ils seront entres, M. le principal et moi nous
viendrons installer le nouveau maitre."
En effet, quelques minutes apres, le principal, M. Viot et le nouveau
maitre faisaient leur entree solennelle a l'etude.
Tout le monde se leva.
Le principal me presenta aux eleves en un discours un peu long, mais
plein de dignite; puis il se retira suivi du gros Serrieres que le punch
d'adieu tourmentait de plus en plus. M. Viot resta le dernier. Il ne
prononca pas de discours, mais ses clefs, frinc! frinc! frinc! parlerent
pour lui d'une facon si terrible, frinc! frinc! frinc! si menacante, que
toutes les tetes se cacherent sous les couvercles des pupitres et que le
nouveau maitre lui-meme n'e
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