n, et mon ile, mes grottes, mes cabanes?
Helas! l'ile, les grottes, les cabanes, M. Eyssette avait tout vendu; il
fallait tout quitter, Dieu, que je pleurais!...
Pendant un mois, tandis qu'a la maison on emballait les glaces, la
vaisselle, je me promenais triste et seul dans ma chere fabrique. Je
n'avais plus le coeur a jouer, vous pensez... oh! non... J'allais
m'asseoir dans tous les coins, et regardant les objets autour de moi, je
leur parlais comme a des personnes; je disais aux platanes: "Adieu, mes
chers amis!" et aux bassins: "C'est fini, nous ne nous verrons plus!" Il
y avait dans le fond du jardin un grand grenadier dont les belles fleurs
rouges s'epanouissaient au soleil. Je lui dis en sanglotant: "Donne-moi
une de tes fleurs." Il me la donna. Je la mis dans ma poitrine, en
souvenir de lui. J'etais tres malheureux.
Pourtant, au milieu de cette grande douleur, deux choses me faisaient
sourire: d'abord la pensee de monter sur un navire, puis la permission
qu'on m'avait donnee d'emporter mon perroquet avec moi. Je me disais que
Robinson avait quitte son ile dans des conditions a peu pres semblables,
et cela me donnait du courage.
Enfin, le jour du depart arriva. M. Eyssette etait deja a Lyon depuis
une semaine. Il avait pris les devants avec les gros meubles. Je partis
donc en compagnie de Jacques, de ma mere et de la vieille Annou. Mon
grand frere l'abbe ne partait pas, mais il nous accompagna jusqu'a la
diligence de Beaucaire, et aussi le concierge Colombe nous accompagna.
C'est lui qui marchait devant en poussant une enorme brouette chargee
de malles. Derriere venait mon frere l'abbe, donnant le bras a Mme
Eyssette.
Mon pauvre abbe, que je ne devais plus revoir!
La vieille Annou marchait ensuite, flanquee d'un enorme parapluie
bleu et de Jacques, qui etait bien content d'aller a Lyon, mais qui
sanglotait tout de meme.... Enfin, a la queue de la colonne venait
Daniel Eyssette, portant gravement la cage du perroquet et se retournant
a chaque pas du cote de sa chere fabrique.
A mesure que la caravane s'eloignait, l'arbre aux grenades se haussait
tant qu'il pouvait par-dessus les murs du jardin pour la voir encore
une fois.... Les platanes agitaient leurs branches en signe d'adieu....
Daniel Eyssette, tres emu, leur envoyait des baisers a tous, furtivement
et du bout des doigts.
Je quittai mon ile le 30 septembre 18....
II
LES BABAROTTES[1]
[Footnote 1: Nom donne dans le Midi a ces gros
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