etait un supplice pour moi.
D'habitude nous allions a la Prairie, une grande pelouse qui s'etend
comme un tapis au pied de la montagne, a une demi-lieue de la ville.
Quelques gros chataigniers, trois ou quatre guinguettes peintes en
jaune, une source vive courant dans le vert, faisaient l'endroit
charmant et gai pour l'oeil.... Les trois etudes s'y rendaient
separement; une fois la, on les reunissait sous la surveillance d'un
seul maitre qui etait toujours moi. Mes deux collegues allaient se faire
regaler par des grands dans les guinguettes voisines, et comme on ne
m'invitait jamais, je restais pour garder les eleves.... Un dur metier
dans ce bel endroit!
Il aurait fait si bon s'etendre sur cette herbe verte, dans l'ombre des
chataigniers, et se griser de serpolet, en ecoutant chanter la petite
source!... Au lieu de cela, il fallait surveiller, crier, punir...
J'avais tout le college sur les bras. C'etait terrible...
Mais le plus terrible encore, ce n'etait pas de surveiller les eleves a
la Prairie, c'etait de traverser la ville avec ma division, la division
des petits. Les autres divisions emboitaient le pas a merveille
et sonnaient des talons comme de vieux grognards! cela sentait la
discipline et le tambour. Mes petits, eux, n'entendaient rien a toutes
ces belles choses. Ils n'allaient pas en rang, se tenaient par la main
et jacassaient le long de la route. J'avais beau leur crier: "Gardez vos
distances!" Ils ne me comprenaient pas et marchaient tout de travers.
J'etais assez content de ma tete de colonne. J'y mettais les plus
grands, les plus serieux, ceux qui portaient la tunique; mais a la
queue, quel gachis! quel desordre! Une marmaille folle, des cheveux
ebouriffes, des mains sales, des culottes en lambeaux! Je n'osais pas
les regarder.
_Desinit in piscem_, me disait a ce sujet le souriant M. Viot, homme
d'esprit a ses heures. Le fait est que ma queue de colonne avait une
triste mine.
Comprenez-vous mon desespoir de me montrer dans les rues de Sarlande en
pareil equipage, et le dimanche, surtout! Les cloches carillonnaient,
les rues etaient pleines de monde. On rencontrait des pensionnats de
demoiselles qui allaient a vepres, des modistes en bonnet rose, des
elegants en pantalon gris perle. Il fallait traverser tout cela avec un
habit rape et une division ridicule. Quelle honte!...
Parmi tous ces diablotins ebouriffes que je promenais deux fois par
semaine dans la ville, il y en avait un surtout,
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