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sur l'esplanade et se montrer a ses compatriotes. Ce premier devoir
accompli, il songe a prendre quelque nourriture et se met en quete d'un
cabaret a portee de son escarcelle... Juste en face les casernes, il en
avise un propret, reluisant, avec une belle enseigne toute neuve:
"Voici mon affaire", se dit-il. Et, apres quelques minutes
d'hesitation--c'est la premiere fois que le petit Chose entre dans un
restaurant--, il pousse resolument la porte.
Le cabaret est desert pour le moment. Des murs peints a la chaux...,
quelques tables de chene... Dans un coin de longues cannes de
compagnons, a bouts de cuivre, ornees de rubans multicolores... Au
comptoir, un gros homme qui ronfle, le nez dans un journal.
"Hola! quelqu'un!" dit le petit Chose, en frappant de son poing ferme
sur les tables, comme un vieux coureur de tavernes.
Le gros homme du comptoir ne se reveille pas pour si peu; mais du fond
de l'arriere-boutique, la cabaretiere accourt... En voyant le nouveau
client que l'ange Hasard lui amene, elle pousse un grand cri:
"Misericorde! monsieur Daniel!
--Annou! ma vieille Annou!" repond le petit Chose. Et les voila dans les
bras l'un de l'autre.
Eh! mon Dieu, oui, c'est Annou, la vieille Annou, anciennement bonne des
Eyssette, maintenant cabaretiere, mere des compagnons, mariee a Jean
Peyrol, ce gros qui ronfle la-bas dans le comptoir... Et comme elle est
heureuse, si vous saviez, cette brave Annou, comme elle est heureuse de
revoir M. Daniel! Comme elle l'embrasse! comme elle l'etreint! comme
elle l'etouffe!
Au milieu de ces effusions, l'homme du comptoir se reveille.
Il s'etonne d'abord un peu du chaleureux accueil que sa femme est en
train de faire a ce jeune inconnu; mais quand on lui apprend que ce
jeune inconnu est M. Daniel Eyssette en personne, Jean Peyrol devient
rouge de plaisir et s'empresse autour de son illustre visiteur.
"Avez-vous dejeune, monsieur Daniel?
--Ma foi! non, mon bon Peyrol...; c'est precisement ce qui m'a fait
entrer ici."
Justice divine!... M. Daniel n'a pas dejeune!... La vieille Annou court
a sa cuisine; Jean Peyrol se precipite a la cave,--une fiere cave, au
dire des compagnons.
En un tour de main, le couvert est mis, la table est paree, le petit
Chose n'a qu'a s'asseoir et a fonctionner... A sa gauche, Annou lui
taille des mouillettes pour ses oeufs, des oeufs du matin, blancs,
cremeux, duvetes... A sa droite, Jean Peyrol lui verse un vieux
Chateau-
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