es, et les tambours du fort Loyasse
battre dans le lointain.... J'etais la depuis quelques instants, pensant
a des choses tristes et regardant vaguement dans la nuit, quand un
violent coup de sonnette m'arracha de ma croisee brusquement. Je
regardai mon pere avec effroi, et je crus voir passer sur son visage le
frisson d'angoisse et de terreur qui venait de m'envahir. Ce coup de
sonnette lui avait fait peur, a lui aussi.
"On sonne! me dit-il presque a voix basse.
--Restez, pere! j'y vais." Et je m'elancai vers la porte.
Un homme etait debout sur le seuil. Je l'entrevis dans l'ombre, me
tendant quelque chose que j'hesitais a prendre.
"C'est une depeche, dit-il.
--Une depeche, grand Dieu! pour quoi faire?"
Je la pris en frissonnant, et deja je repoussais la porte; mais l'homme
la retint avec son pied et me dit froidement:
"Il faut signer."
Il fallait signer! Je ne savais pas: c'etait la premiere depeche que je
recevais.
"Qui est la, Daniel?" me cria M. Eyssette; sa voix tremblait.
Je repondis:
"Rien! c'est un pauvre...." Et, faisant signe a l'homme de m'attendre,
je courus a ma chambre, je trempai ma plume dans l'encre, a tatons, puis
je revins.
L'homme dit:
"Signez la."
Le petit Chose signa d'une main tremblante, a la lueur des lampes de
l'escalier; ensuite il ferma la porte et rentra, tenant la depeche
cachee sous sa blouse.
Oh! oui, je te tenais cachee sous ma blouse, depeche de malheur! Je ne
voulais pas que M. Eyssette te vit; car d'avance je savais que tu venais
nous annoncer quelque chose de terrible, et lorsque je t'ouvris, tu ne
m'appris rien de nouveau, entends-tu, depeche! Tu ne m'appris rien que
mon coeur n'eut deja devine.
"C'etait un pauvre?" me dit mon pere en me regardant.
Je repondis sans rougir: "C'etait un pauvre"; et pour detourner les
soupcons, je repris ma place a la croisee.
J'y restai encore quelque temps, ne bougeant pas, ne parlant pas,
serrant contre ma poitrine ce papier qui me brulait.
Par moments, j'essayais de me raisonner, de me donner du courage, je me
disais: "Qu'en sais-tu? c'est peut-etre une bonne nouvelle. Peut-etre on
ecrit qu'il est gueri...." Mais, au fond, je sentais bien que ce n'etait
pas vrai, que je me mentais a moi-meme, que la depeche ne dirait pas
qu'il etait gueri.
Enfin, je me decidai a passer dans ma chambre pour savoir une bonne fois
a quoi m'en tenir. Je sortis de la salle a manger, lentement, sans
avoir l'air; mais quand
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