. M. Eyssette lui portait malheur. Ecoutez la scene de la cruche:
Un soir, au moment de se mettre a table, on s'apercoit qu'il n'y a plus
une goutte d'eau dans la maison.
"Si vous voulez, j'irai en chercher", dit ce bon enfant de Jacques.
Et le voila qui prend la cruche, une grosse cruche de gres.
M. Eyssette hausse les epaules:
"Si c'est Jacques qui y va, dit-il, la cruche est cassee, c'est sur.
--Tu entends, Jacques,--c'est Mme Eyssette qui parle avec sa voix
tranquille,--tu entends, ne la casse pas, fais bien attention."
M. Eyssette reprend:
"Oh! tu as beau lui dire de ne pas la casser, il la cassera tout de
meme."
Ici, la voix eploree de Jacques:
"Mais enfin, pourquoi voulez-vous que je la casse?
--Je ne veux pas que tu la casses, je te dis que tu la casseras", repond
M. Eyssette, et d'un ton qui n'admet pas de replique.
Jacques ne replique pas; il prend la cruche d'une main fievreuse et sort
brusquement avec l'air de dire:
"Ah! je la casserai? Eh bien, nous allons voir."
Cinq minutes, dix minutes se passent; Jacques ne revient pas. Mme
Eyssette commence a se tourmenter:
"Pourvu qu'il ne lui soit rien arrive!
--Parbleu! que veux-tu qu'il lui soit arrive? dit M. Eyssette d'un ton
bourru. Il a casse la cruche et n'ose plus rentrer."
Mais tout en disant cela--avec son air bourru, c'etait le meilleur homme
du monde--, il se leve et va ouvrir la porte pour voir un peu ce que
Jacques etait devenu. Il n'a pas loin a aller; Jacques est debout sur
le palier, devant la porte, les mains vides, silencieux, petrifie. En
voyant M. Eyssette, il palit, et d'une voix navrante et faible, oh! si
faible: "Je l'ai cassee", dit-il.... Il l'avait cassee!...
Dans les archives de la maison Eyssette, nous appelons cela "la scene de
la cruche".
Il y avait environ deux mois que nous etions a Lyon, lorsque nos parents
songerent a nos etudes. Mon pere aurait bien voulu nous mettre au
college, mais c'etait trop cher. "Si nous les envoyions dans une
manecanterie? dit Mme Eyssette; il parait que les enfants y sont bien."
Cette idee sourit a mon pere, et comme Saint-Nizier etait l'eglise la
plus proche, on nous envoya a la manecanterie de Saint-Nizier.
C'etait tres amusant, la manecanterie! Au lieu de nous bourrer la
tete de grec et de latin comme dans les autres institutions, on nous
apprenait a servir la messe du grand et du petit cote, a chanter les
antiennes, a faire des genuflexions, a encenser elegam
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