descendis...
Dieu m'est temoin qu'a ce moment-la toute idee de violence etait bien
loin de moi; je voulais seulement intimider le marquis par la fermete
de mon attitude; mais, en me voyant descendre de ma chaire, il se mit a
ricaner d'une facon si meprisante, que j'eus le geste de le prendre au
collet pour le faire sortir de son banc.
Le miserable tenait cachee sous sa tunique une enorme regle en fer. A
peine eus-je leve la main, qu'il m'assena sur le bras un coup terrible.
La douleur m'arracha un cri.
Toute l'etude battit des mains.
"Bravo, marquis!"
Pour le coup, je perdis la tete. D'un bond, je fus sur la table, d'un
autre sur le marquis; et alors, le prenant a la gorge, je fis si bien,
des pieds, des poings, des dents, de tout, que je l'arrachai de sa place
et qu'il s'en alla rouler hors de l'etude jusqu'au milieu de la cour...
Ce fut l'affaire d'une seconde; je ne me serais jamais cru tant de
vigueur.
Les eleves etaient consternes. On ne criait plus: "Bravo, marquis!"
On avait peur. Boucoyran, le fort des forts, mis a la raison par ce
gringalet de pion! Quelle aventure!... Je venais de gagner en autorite
ce que le marquis venait de perdre en prestige.
Quand je remontai dans ma chaire, pale encore et tremblant d'emotion,
tous les visages se pencherent vivement sur les pupitres. L'etude etait
matee. Mais le principal, M. Viot, qu'allaient-ils penser de cette
affaire? Comment! j'avais ose lever la main sur un eleve! sur le marquis
de Boucoyran! sur le noble du college! Je voulais donc me faire chasser!
Ces reflexions, qui me venaient un peu tard, me troublerent dans mon
triomphe. J'eus peur, a mon tour. Je me disais: "C'est sur, le marquis
est alle se plaindre." Et, d'une minute a l'autre, je m'attendais a voir
entrer le principal. Je tremblai jusqu'a la fin de l'etude; pourtant,
personne ne vint.
A la recreation, je fus tres etonne de voir Boucoyran rire et jouer avec
les autres. Cela me rassura un peu; et, comme toute la journee se passa
sans encombres, je m'imaginai que mon drole se tiendrait coi et que j'en
serai quitte pour la peur.
Par malheur, le jeudi suivant etait jour de sortie, M. le marquis ne
rentra pas au dortoir. J'eus comme un pressentiment et je ne dormis pas
de toute la nuit.
Le lendemain, a la premiere etude, les eleves chuchotaient en regardant
la place de Boucoyran qui restait vide. Sans en avoir l'air, je mourais
d'inquietude.
Vers les sept heures, la porte s'ouvrit d
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