Arabes, et d'en faire un peuple aussi honnete que nous_.
Oh non! laissez-les dans l'abrutissement. Ils ne sont pas coupables
d'etre esclaves, eux qui n'ont pas le sentiment de la dignite humaine.
Mais, nous qui pretendons l'avoir, il est etrange de voir a quelle
epoque de notre existence politique nous nous en vantons!
Mon ami, je ne vous ferai pas changer d'avis. Quand on se decide a dire
et a ecrire quelque chose, on y a songe; on croit avoir bien compris,
bien juge la question; on est prepare a considerer comme des reves et
des erreurs tout ce qui vient de la partie adverse. Je ne vous dis donc
pas mes raisons pour vous convertir; mais c'est afin que nous nous
comprenions, et que nous partions chacun d'un principe bien connu, pour
nous quereller si l'envie nous en vient. Je vous dis, moi, que je ne
connais et n'ai jamais connu qu'un principe: celui de l'abolition de la
propriete.
Voila en quoi j'ai toujours venere le saint-simonisme; voila en quoi
j'adore certains republicains _veritables_ (il y en a peu, soyez-en
sur). Si je ne suis ni saint-simonien, ni republicain (je me suppose
homme un instant), c'est que je ne vois pas une formule digne de rallier
des hommes, pas une circonstance capable de developper par des actions
les bons sentiments. Le moment ne permet rien a des hommes ordinaires,
comme Enfantin, vous et moi. Je dis ordinaires en fait d'intelligence;
car je n'ote rien a la haute moralite d'Enfantin (je n'en sais rien et
j'aime a y croire).
Il fallait donc attendre des chefs, un ordre de bataille, un drapeau et
une armee qui voulut combattre serieusement. Tout cela manquant, il n'y
a plus autre chose a faire que de garder en soi le bon principe, pur,
sans tache, sans ombre de concession a ce _jesuitisme metaphysique_:
pretendue morale a laquelle les hommes ne croient ni les uns ni les
autres.
Un jour viendra ou ce bon principe aura son tour. Si nous ne sommes
plus, nos enfants ou nos neveux, l'ayant recu de nous, parleront, et
feront quelque chose. Vous me parlez de deux cents exemplaires de
mon portrait distribues a vos proletaires. Vous avez donc deux cents
proletaires? Vous m'aviez toujours dit une cinquantaine au plus. Je
veux vous questionner sur le personnel de vos saint-simoniens. Que
croient-ils? Que pensent-ils? Que veulent-ils?
Autant que j'en ai pu juger par Vincard, ce sont des republicains
a l'eau de rose, des gens de bien, mais beaucoup trop doux, trop
evangeliques et trop patien
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