pour trente-cinq francs _par an,_ dans la grande chartreuse de
Valdemosa!
Valdemosa bipede vous expliquera ce que c'est que Valdemosa chartreuse;
ce serait trop long a vous decrire.
C'est la poesie, c'est la solitude, c'est tout ce qu'il y a de plus
artiste, de plus _chique_ sous le ciel; et quel ciel! quel pays! nous
sommes dans le ravissement.
Nous avons eu un peu de peine a nous installer, et je ne conseillerais a
personne de le tenter dans ce pays-ci, a moins de s'y faire annoncer six
mois d'avance. Nous avons ete favorises par un concours de circonstances
uniques. Si une famille venait apres nous, je crois qu'elle ne
trouverait rien a habiter; car, ici, on ne loue rien, on ne prete rien,
on ne vend rien. Il faut tout commander, et tout se fait lentement. Si
l'on veut se permettre le luxe exorbitant d'un pot de chambre, il faut
ecrire a Barcelone.
Valdemosa, en nous parlant des facilites et du bien-etre de son pays,
nous a horriblement _blagues_. Mais le pays, la nature, les arbres, le
ciel, la mer, les monuments depassent tous mes reves: c'est la terre
promise, et, comme nous avons reussi a nous caser assez bien, nous
sommes enchantes.
Enfin notre voyage a ete le plus heureux et le plus agreable du monde,
et, comme je l'avais calcule avec Manoel, je n'ai pas depense quinze
cents francs depuis mon depart de Paris jusqu'ici. Les gens de ce pays
sont excellents et tres ennuyeux. Cependant, le beau-frere et la soeur
de Valdemosa sont charmants, et le consul de France est un excellent
garcon qui s'est mis en quatre pour nous.
Adieu, chere; je vous ecrirai plus longuement une autre fois.
Aujourd'hui, je suis ecrasee par le tintamarre de mon installation a la
campagne.
Je vous aime tous deux et vous embrasse de toute mon ame; Adieu encore,
ecrivez-moi.
CLXXXVI
A LA MEME
Palma de Mallorca, 14 decembre 1838.
Chere amie,
Vous devez me trouver bien paresseuse. Moi, je me plaindrais aussi de la
rarete de vos lettres, si je ne savais comment vont les choses ici. Vous
ne vous en doutez guere, vous autres! Ce bon Manoel, qui se figurait
qu'en sept jours on pouvait correspondre avec Paris!
D'abord, sachez que le bateau a vapeur de Palma a Barcelone a pour
principal objet le commerce des cochons. Les passagers sont en seconde
ligne. Le courrier ne compte pas. Qu'importe aux Mayorquins les
nouvelles de la politique ou des beaux-arts? le cochon est la grande,
la s
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