ue je n'ai pas
le moindre souci d'ambition, soit d'argent, soit de reputation. J'ai
produit tout ce que je pouvais produire, et je n'aspire plus qu'a me
reposer et a suspendre ma plume a cote de ma pipe turque.
Je ne travaille pas dans _le Monde_, je ne suis l'associee de personne.
Associee de l'abbe de Lamennais est un titre et un honneur qui ne
peuvent m'aller. Je suis son devoue serviteur. Il est si bon et je
l'aime tant, que je lui donnerai autant de mon sang et de mon encre
qu'il m'en demandera. Mais il ne m'en demandera guere, car il n'a pas
besoin de moi, Dieu merci! Je n'ai pas l'outrecuidance de croire que
je le sers autrement que pour donner, par mon babil frivole, quelques
abonnes de plus a son journal; lequel journal durera ce qu'il voudra et
me payera ce qu'il pourra. Je ne m'en soucie pas beaucoup. L'abbe de
Lamennais sera toujours l'abbe de Lamennais, et il n'y a ni conseil ni
association possibles pour faire, de George, autre chose qu'un tres
pauvre garcon.
Je ne doute ni de la bonte de M. Bertin ni de sa largesse; mais il n'y
a pas de raison pour que j'aille, sans aucun droit, reclamer son vif
interet. Mon genre de travail ne lui conviendrait pas, et j'ai la tete
un peu dure, a present que j'ai des cheveux blancs, pour acquerir la
grace, la concision et tout ce qu'il faudrait pour plaire a son public.
Croyez-moi, restons chacun chez nous. _C'est l'ambition qui perd les
hommes. Ne forcons point notre talent. Il ne faut faire en public que
ce qu'on fait fort bien_, etc., etc. Voyez Sancho Panca et _les trente
mille proverbes_.
Tout mon desir est donc pour le moment _fiche_ en une seule chose:
vendre mon travail passe, afin de n'avoir plus de travail futur a
affronter. Vous n'imaginez pas, mon ami, quel degout m'inspire a present
la litterature (la mienne s'entend). J'aime la campagne de passion;
j'ai, comme vous, tous les gouts du menage, de l'interieur, des chiens,
des chats, des enfants par-dessus tout. Je ne suis plus jeune. J'ai
besoin de dormir la nuit et de flaner tout le jour. Aidez-moi a me tirer
des pattes de Buloz, et je vous benirai tous les jours de ma vie. Je
vous ferai des manuscrits pour allumer votre pipe, et je vous eleverai
des levriers et des chats angoras. Si vous voulez me donner votre petite
fille en sevrage, je vous la rendrai belle, bien portante et mechante
comme le diable; car je la gaterai insupportablement.
Vous devez bien comprendre tout cela, vous qui etes si simple
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